Outre la situation déplorable de la population de Vatomaina, l’exploitation minière dans le Sud de Madagascar soulève également de graves préoccupations en matière de droits humains. Pour de nombreuses communautés locales, la terre n’est pas seulement une ressource : elle incarne une histoire, une mémoire collective et une dimension spirituelle profondément enracinée.
Dans la commune rurale de Maniry, située dans le district d’Ampanihy, région Atsimo Andrefana, le village de Rehambohitse Ambony est au centre d’un enjeu entre traditions locales et exploitation minière. La société australienne Evion Group (anciennement Black Earth Minerals) prévoit d’y exploiter du graphite. Cependant, la présence de tombeaux Mahafaly, considérés comme sacrés par la communauté locale, soulève des préoccupations quant à l’impact du projet sur le patrimoine culturel et les rites ancestraux..
Les habitants de Rehambohitse Ambony, manifestent une opposition ferme à l’exploitation de graphite dans leur région. « Peu importe les milliards ou les millions d’Ariary qu’on nous propose, nous ne céderons pas notre terre pour l’exploitation du graphite », affirment-ils avec détermination. Leur principale préoccupation concerne la préservation de leur patrimoine ancestral, notamment les tombeaux sacrés des Mahafaly..
Parmi les figures de cette résistance, Mandrohivelo, un chef de village âgé d’une soixantaine d’années, exprime l’inquiétude générale. « Nous n’accepterons jamais cette situation. C’est notre terre, celle où reposent nos ancêtres depuis des siècles. Peu importe l’argent ou les zébus qu’ils offrent, notre culture ne se monnaye pas », insiste-t-il d’un ton grave, traduisant la crainte de voir disparaître un pan essentiel de leur identité.
Le projet minier est porté par la société australienne Evion Group,. L’entreprise dispose de quatre permis de recherche couvrant 10 880 ha, acquis en 2001, ainsi que de huit permis d’exploitation s’étendant sur 11 520 ha obtenus le 20 juillet 2005. Toutefois, des questions se posent quant à la régularité de son activité minière, car son permis environnemental (n° 498/03/MINENV), délivré le 5 septembre 2003, concerne uniquement l’exploitation de la labradorite, et non celle du graphite. Cette situation alimente les tensions et suscite des interrogations sur le cadre légal de l’extraction envisagée.
Un projet minier en plein cœur d’un site sacré
Chez le peuple Mahafaly, les tombeaux sont des éléments fondamentaux du patrimoine culturel et spirituel. « Ces structures ne sont pas de simples sépultures, elles incarnent la mémoire des ancêtres, une connexion spirituelle que rien ne doit altérer », explique Philibert, un résident du village.
Au centre du village, se dresse un Mandorave, arbre sacré pour les Mahafaly, qui sert traditionnellement de lieu de rassemblement et de concertation. C’est sous son ombre que les habitants de Rehambohitse Ambony se réunissent pour débattre de l’avenir de leur territoire face au projet minier d’Evion Group. L’enjeu est de taille : les gisements de graphite identifiés par la société se situent directement sous ces tombeaux, rendant leur préservation incompatible avec l’exploitation minière.
Un obstacle à l’obtention du permis environnemental
Le maire de la commune de Maniry, Sambo, confirme la situation : « L’entreprise a déjà effectué des sondages dans le village de Rehambohitse. C’est en-dessous des tombeaux qu’elle a identifié le meilleur filon de graphite. Actuellement, ces sépultures constituent un obstacle majeur à l’obtention du permis environnemental nécessaire pour l’exploitation. »
L’ONE affirme suivre le dossier avec attention. Tsilavina Rabefarihy, chef de l’Unité USIDE auprès de l’ONE, précise : « L’entreprise a soumis des études complémentaires pour l’obtention du permis environnemental sur l’exploitation du graphite dans la commune de Maniry. Toutefois, elle a ensuite décidé d’interrompre l’évaluation du projet pour des raisons sociales, notamment en lien avec les tombeaux. »
Dans un souci d’équilibre et de transparence, plusieurs tentatives ont été faites pour obtenir la version d’Evion Group sur cette situation. Cependant, l’entreprise refuse toute interview et ne répond pas aux sollicitations des journalistes de Malina. Mais selon la législation malgache, notamment le Décret n° 2006-910 du 19 décembre 2006 sur la gestion environnementale des projets miniers, toute exploitation minière impliquant la destruction d’un site culturel, tel qu’un tombeau, doit obtenir l’accord préalable de la communauté locale et des autorités compétentes. En l’absence de cet accord, toute tentative d’extraction pourrait être considérée comme une violation des droits des populations locales et des dispositions légales en vigueur.
Un choc de valeurs : quand l’économie piétine les droits humains fondamentaux
Dans le village de Rehambohitse Ambony 51 tombeaux sont directement menacés par l’exploitation du graphite menée par l’entreprise australienne Evion Group. Le maire de la commune, Somon, confirme la complexité de la situation : « Ce filon de graphite de pure qualité se trouve directement sous ces tombeaux, un aspect crucial qui a déclenché un intense débat entre l’entreprise et la communauté locale. ». Lors d’une première réunion entre Black Earth Minerals et la communauté de Rehambohitse, le 22 septembre 2021, « l’entreprise avait assuré qu’aucune exploration ne serait réalisée à proximité des tombeaux. En guise de compensation pour la construction du forage, elle avait alors proposé à la communauté deux zébus et une somme de 600 000 Ariary ». Cette information figure dans un compte-rendu de réunion, présenté par le chef de village.
Cependant, cette promesse s’est avérée éphémère. Quelques mois après cet engagement, l’entreprise est revenue avec une nouvelle offre : un milliard d’Ariary par tombeau concerné. Une proposition qui a immédiatement suscité une vive réaction de la part des habitants. « Face à cette proposition, la communauté a exprimé sa ferme opposition », témoigne Sambo.
Respect de la zone d’interdiction de 100 mètres : une obligation légale et culturelle
L’article 130 de la loi n° 2023-007, portant refonte du Code Minier de Madagascar, établit des restrictions strictes concernant les zones interdites à l’exploitation minière : « Sans préjudice de restrictions particulières éventuelles, aucun travail de recherche ou d’exploitation minière ne peut être ouvert à la surface, dans une zone de cent (100) mètres, appelée zone d’interdiction, sauf s’il est justifié que le permis et/ou l’autorisation minière ont été attribués antérieurement.
Cette disposition vise à protéger non seulement l’environnement, mais aussi les espaces à forte valeur culturelle et sociale. Razafiharison Andriamanantena, anthropologue et député de Madagascar élu dans le district d’Ampanihy, soutient fermement cette loi en rappelant l’importance des sites funéraires dans la culture malgache. « Ces tombeaux ne sont pas simplement des monuments », souligne-t-il. « Ils représentent un attachement profond au monde ancestral, un devoir de mémoire et un respect inébranlable envers ceux qui ont façonné notre culture. » Pour lui, la mobilisation des habitants de Maniry dépasse une simple opposition économique et reflète « la préservation d’une identité culturelle et historique qui lie profondément la population à ses ancêtres. »
Ainsi, dans le Sud, les communautés de Maniry font face au non-respect des droits humains fondamentaux. Les promesses de développement se heurtent à la réalité d’un quotidien marqué par la précarité et l’abandon. Alors que les comités de compensation peinent à remplir leur rôle et que les entreprises se dédouanent de leurs responsabilités, les populations locales, elles, restent en quête de réponses et de justice. Au prix du développement, combien de sacrifices, encore, faudra-t-il consentir ?
Par Antsamalala Felana Fitiavana et Ismaël Mihaja
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