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Exploitation minière d’Ambatovy : des paysans sacrifiés « pour l’intérêt national »

Malina Admin . Administrateur
Publiée le 2/5/2025
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Madagascar, un des principaux producteurs des minerais de transition – nickel et cobalt – en Afrique, se hisse par la société Ambatovy, grand exportateur de ces produits. À même que le temps presse, la transition énergétique devient une hâte au niveau international, mais l’initiative voile une réalité économique et sociale peu sûre pour son pays hôte. 2024, les communautés entourant la société plient sous le poids du géant minier. Voici une enquête menée par les journalistes de Malina en novembre 2023, au cœur des communautés vivant à l’ombre du géant minier.

 

Il n’y a plus qu’une mare : Richard Ranalarison est face à ce qui, autrefois, était ses terres. Tout a été enseveli. Le père de famille a non seulement perdu ses rizières, mais également son principal moyen de subsistance, et aujourd’hui, il n’a que ses souvenirs, ceux de terres fertiles qu’il doit remplacer par un sol dur et sableux. « Bien sûr que cela m’attriste, j’ai labouré ces terres toute mon enfance, jusqu’à ce que je me marie » confie le quadragénaire. Pour tout cela, la société minière Ambatovy lui a proposé une terre en échange. C’était en 2008, pourtant le problème ne trouve toujours pas son issue. Le cas de Ricard Ranalarison n’est pas isolé. Là où la société s’est posée, des tumultes se sont créés.

 

Promesses trahies, terres perdues

2006, la vie paisible du village d’Andranovery est secouée par l’arrivée soudaine de la société Ambatovy. 29 familles sont sollicitées à quitter leurs terres ancestrales : un projet minier est en cours d’installation dans cette localité du fokontany d’Ampitambe, commune d’Ambohibary à Moramanga. Deux années passent, et une entente est trouvée : 2008, les familles ont donné leur accord « pour l’intérêt national et le développement du pays » comme le rappelle Richard Ranalarison. Le projet se développe. Les paysans attendent leurs nouvelles terres, celles qui leur ont été promises à leur départ : “En 2008, nous, les 29 Personnes Affectées par le Projet (PAPs) et Ambatovy, avons conclu un accord clair stipulant qu’ils remplaceront nos terres par des terrains bien cultivables et productives, similaires à celles d’Andranovery” témoigne Richard Ranalarison. En attendant de trouver ce terrain de remplacement, Ambatovy compense alors les cultivateurs en leur fournissant quatre tonnes de riz pour chaque hectare laissé, et ce, chaque année. 2011, l’utopie cède sa place à la déception lorsque Ambatovy propose Ambolomaro comme alternative au terrain d’Andranovery. Un sol infertile, fait de tourbes et de sables fins, Richard Ranalarison en partage son expérience de 2014 : « j’ai entrepris la culture du riz à cet endroit, mais le rendement a été décevant. Je n’ai pu obtenir qu’une maigre récolte de 100 kg sur un terrain de plus de 2 hectares. À Andranovery, avec une superficie équivalente, j’ai récolté 8 tonnes. » Le père de famille vit dans l’espoir de trouver un meilleur terrain, qu’après toutes ces années, devient une rage qu’il retranscrit dans une plainte adressée à Ambatovy en novembre 2023.  

 

Terres dures

« Ambatovy a contraint ces familles à cultiver à Ambolomaro sous la menace de perdre toute compensation. » Andriamananjara Rasolontsilavo, chef de fokontany d’Ampitambe depuis 2009, confie ses maux. En 2016, Ambatovy cesse définitivement le dédommagement, et pour cause : la société soutient que les terres d’Ambolomaro sont cultivables. De terres sableuses et arides, les essais de plants de riz s’enfoncent dans un sol dur. Les faits se brouillent par une parcelle de référence : la société a démontré la fertilité des terres à Ambolomaro par un travail sur 5 à 10 hectares. De son côté, Ambatovy renforce que les terres d’Ambolomaro sont fertiles. Vony Ramahaleo, responsable des relations presse au sein de la société soutient : « Si le rendement dans ses terres a été estimé à deux tonnes par hectare, des études qu’ont mené les responsables au sein du ministère de l’Agriculture ont prouvé que le rendement atteignait maintenant les environs de 3,8 tonnes par saison. » La réalité, du côté d’Ambolomaro semble différente : « Nous avons bien essayé de planter ici, mais la production n’arrive pas à la hauteur de celle d’Andranovery. Le prix ne vaut pas son coût. » Des plants d’agrumes, plantés par quelques familles qui essaient de cultiver les terrains, peuplent timidement les lieux. La société Ambatovy reconnaît la valeur de ces groupes, devenus associations, qui, pour elle, contribuent à labourer ces terres pour préserver leur fertilité. Face à l’infertilité du sol d’Ambolomaro et l’arrêt des compensations en riz, les 29 PAPs ont tenté de revenir aux environs d’Andranovery. Action qui s’est soldée par des  menaces juridiques et une intervention des autorités.  Pour Ambatovy, ces paysans n’ont fait face à aucune forme de contrainte : « Le choix de ces terres s’est fait après plusieurs discussions et un accord, c’est-à-dire que dès le début, ils ont accepté Ambolomaro. » 15 ans plus tard, les habitants continuent de lutter, dans l’ombre persistante de terres perdues et de promesses trahies.

 

Danger à Ambohimarina

Pendant ce temps, quelque part à Toamasina, Victoire Angèle Fenosoa, chef du carreau quatre du sous-secteur Tanambao Ambohimarina, fokontany Tanandava, a vécu une histoire similaire. Niché à deux kilomètres de la route principale, entre les arbres et la verdure, son village abrite plus de 200 foyers. Ils sont 14 familles à avoir migré dans cet espace pour laisser leurs terres à la société. À la clé, une aide financière sur cinq ans – de 2008 à 2013 – en attendant le remplacement des terres : en 2008, l’échange s’est réduit à une somme en  que Victoire Angèle Fenosoa ne dévoile pas, mais qui, selon le chef du carreau quatre, n’aurait pu couvrir que deux ou trois mois. Aujourd’hui, les villageois se taisent. « Nous avons envoyé des demandes à Ambatovy, à travers notre maire, des requêtes pour améliorer l’infrastructure et nos conditions de vie à l’équivalent d’un cahier de 200 pages. Aucune réponse n’est arrivée » rapporte Victoire Angèle Fenosoa. Prises d’affection, les 14 familles ont décidé de rester à Ambohimarina, à l’alternative de Vohitrambato, terres proposées par Ambatovy. Vony Ramahaleo, responsable des relations presse de la société, explique le processus : « Le déplacement des communautés vivant aux environs du parc à résidus s’est fait selon les normes qu’impose la Société Financière Internationale sur le déplacement volontaire : il y a une évaluation technique menée par d’experts, puis un accord avec ces communautés. » Le responsable renforce que sans accord, la relocalisation n’est pas effectuée. Dans la petite communauté de Tanandava, les villageois espèrent et continuent de demander. Victoire Angèle Fenosoa se révolte : « Parmi nos demandes, nous avons précisé que le village avait besoin de médecin, mais jusqu’ici, personne n’est venu. » Petit village près du parc de déchets de l’usine, leur proximité devient, pour eux, un danger : « Nous avions pour habitude de prendre l’eau de la rivière pour consommation, maintenant, l’eau ne peut être utilisée que pour la lessive, et même la baignade peut causer des démangeaisons ». D’après les villageois d’Ambohimarina, un tuyau de la société a laissé échapper son contenu, et depuis, la clarté de l’eau en est menacée. En 2018, le rapport de conclusion de la Banque Européenne d’Investissement (BEI), principal financeur du projet, rapporte des impacts peu stridents du parc, hormis la forte présence de manganèses dans l’eau courante, taux préoccupant depuis juillet 2015, et qui peut exposer les locaux à des maladies respiratoires ou congénitales. À Ambohimarina, la peur s’installe bien trop souvent : « Même l’eau de la brume ne peut pas être utilisée, parce qu’elle vient du cycle du parc. Les représentants d’Ambatovy nous ont conseillé d’utiliser l’eau de pluie que pour la lessive ou la vaisselle, mais aussi de les prévenir au cas où nous sentirions une odeur étrange, chose qui arrive souvent. » Le village de Tanambao Ambohimarina vit avec un point d’eau commun : un robinet dont l’eau est fournie par Ambatovy. Face à toutes ces demandes, Ambatovy réagit : « En guise de solution pour ces communautés, la société a essayé de parler avec ces communautés : ils ont proposé des terres où ils souhaitent se déplacer, et nous sommes actuellement en train de négocier avec les propriétaires de la place où ils souhaitent se poser.»

Sur d’autres plans, les dangers se répandent, il y a trois ans, la petite localité d’Ambodiakatra à Analalava a plongé dans une épidémie de gale. L’implication de la société Ambatovy n’est pas sous-estimée : « Ils sont plus de 300 personnes à avoir été infectées dans une école à Befotsy, le fokontany voisin. En étudiant bien les faits, nous avons découvert que les malades utilisaient et se baignaient dans l’eau qui provient d’une rivière près d’Ambatovy. » selon Mahefasoa Herimihaja Rakotoson, médecin-chef du Centre de Santé de Base d’Ambodiakatra. Les locaux ont décidé d’avoir recours aux puits pour leur consommation d’eau et pour le ménage. Les villageois ne semblent pas se plaindre de la couleur brune de l’eau puisée, pourvu qu’en période de sécheresse, chaque groupe de foyers dispose d’un puits.

 La réalité est telle que ces initiatives ne semblent pas connues de tous. Accepter et vivre avec, les derniers mots des villageois résonnent fort dans la petite localité, et leurs voix n’en sortent pas.

 

De vaines solutions ?

Justin Andriamanankolafy, président de Délégation Spéciale (PDS) d’Ambohibary dit ne pas ressentir les retombées des activités d’Ambatovy. Des retombées que la commune d’Ambohibary n’auraient pas perçues depuis 2018, des suites d’une ancienne affaire de corruption. En 2013, un nouveau marché s’installe dans le village d’Ampitambe : le marché d’Ambohibary.. Justin Andriamanankolafy exprime sa déception : “Il s’agit d’un marché délaissé, désormais inutilisé. Bien que la société Ambatovy ait contribué à la construction d’un marché à Ampitambe, il est actuellement à l’abandon, principalement en raison du décalage entre l’aide fournie et les réels besoins de la population.”

En termes de réels besoins, la population évoque surtout le besoin d’électrification. C’est le cas d’Analalava, localité paysanne située à moins deux kilomètres de la ville de Moramanga, et composée dequatre villages et 14 sous-secteurs. Dans une pièce de sa maison, dans le sous-secteur d’Ambodiakatra, celle qui lui fait office de bureau de fokontany, Pierre Ramaronindrina nous accueille. C’est là que le chef du fokontany se livre : Ambodiakatra n’est pas électrifié. Même sous l’aile d’Ambatovy, le sous-secteur ne voit la lumière que par quelques bougies, lampes à pétrole, et plaques solaires. S’il faut bien économiser jusqu’à 400.000 Ariary pour une plaque solaire et deux lampes, l’initiative n’est pas à la portée de tous les villageois, et environ 20% des foyers y ont accès. L’Etat est incapable de fournir de l’électricité à ses populations : le poteau de la JIRAMA érigé à quelques mètres de l’entrée du village brille par son inutilité. Pierre Ramaronindrina s’indigne de l’installation proche, qui ne peut pas produire de la lumière de ce côté du village. Rebuté par les quelques demandes qu’il a envoyées auprès de la commune, il explique : « Nous envoyons souvent des demandes pour installer l’électricité dans le sous-secteur, et ce, depuis 2010. » Ambohibary, commune hébergeant la plupart des sites miniers d’Ambatovy dont Analalava, attend toujours le développement tant espéré.

Dans son effort, Ambatovy a généreusement offert, en 2023, des kits solaires aux fokontany  avoisinant, dont Ampitambe. Mais le chef du fokontany révèle : « Ambatovy a sollicité le chef du village pour établir une liste des personnes démunies et des veuves, comptant environ 500 noms. Au fil du temps, il est apparu clairement que la liste n’a pas été respectée. » Les villageois, perplexes et indignés, attribuent cette gestion défaillante au chef du fokontany et supposent qu’il aurait  privé certains nécessiteux de l’aide prévue.   

Les deux facettes des activités minières interpellent : une exploitation lucrative -générant des retombées significatives et des populations qui ne voient pas nécessairement les impacts de celles-ci sur leurs vies quotidiennes. Plus d’une dizaine d’années après l’installation de l’entreprise à Tapakala, Moramanga, les personnes affectées par le projet attendent toujours que les promesses faites à leurs égards soient réalisées.

 

                                                                                                  Par Rova Andriantsileferintsoa et Holimandimby Ranaivosolohery