Economie

Redevances minières : à qui profite les mines de graphite ?

Malina Admin . Administrateur
Publiée le 2/5/2025
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Malgré les promesses de développement liées à l’exploitation du graphite, des communes comme Fotadrevo et Ambinaninony peinent à voir des retombées concrètes. Entre retards de paiement des redevances minières, routes délabrées et accès limité aux services de base, la richesse extraite du sous-sol ne semble pas profiter aux populations locales, confrontées à une pauvreté persistante et à des conditions de vie précaires.

 

Des retombées floues

À Ambinaninony, la route nationale 2 illustre bien ce paradoxe. Des camions de graphite, estampillés des logos de l’Etablissement Gallois et de Tirupati, soulèvent chaque jour poussières et désillusions. Bien que la société Tirupati exploite 9 000 tonnes de graphite annuellement depuis 2015, les retombées pour la communauté locale restent floues. Une école publique, financée par un chèque de 25 millions d’Ariary adressé directement à la maire Marie Nicole Rogation, n’a jamais vu le jour, suscitant des soupçons sur la gestion des fonds.

C’est dans cette commune d’Ambinaninony, dans le district de Brickaville, sur la route nationale 2 que la société Tirupati a commencé à travailler en 2015. La société produit 9 000 tonnes de graphite par an. Un bénéfice qui ne se reflète pas dans les infrastructures de la commune malgré le soutien de la société Tirupati. En effet, elle a offert son appui à l’implémentation d’une nouvelle école primaire publique aux normes et à l’équipement du commissariat dans le cadre de leurs projets d’action sociale.

Dans cette commune, c’est le silence sur ces fameuses redevances minières alors que la société indique qu’elles ont bien été versées. Les responsables de projet auprès de l’établissement avouent un retard de paiement « Des taxes d’une valeur de 1,8 million d’Ariary n’ont pas encore été payés par l’Etat Central depuis deux ans ». Des taxes non payées qui, selon les responsables, deviennent un handicap au bon fonctionnement de la société.

 

Une école fantôme

Mais Tirupati comme l’Établissement Gallois continuent d’enchaîner les actions sociales. Un chèque de 25 millions d’Ariary au nom et au compte personnel de la précédente maire de la commune d’Ambinaninony, Marie Nicole Rogation, a été signé par le directeur financier de la société, à la date du 6 octobre 2021. Cette somme a été offerte par l’Etablissement Gallois pour payer la construction d’une Ecole Primaire Publique dans le quartier d’Ambodizarina. Pour les responsables de la société, ces aides sont une « responsabilité, sachant que la plupart des habitants des communes environnantes la société y travaillent. » Un papier signé par la mairesse elle-même atteste la réception de la somme par la commune d’Ambinaninony. Mais jusqu’à présent, les travaux d’habilitation de l’école n’ont pas encore débuté.

L’Article 242 du Code Minier indique que les ententes sur les Responsabilités Sociétales des Entreprises se font entre les autorités des Collectivités Territoriales Décentralisées, suivi d’un rapport dans le cahier de charge environnemental. Le dernier document n’a pas été présenté à l’équipe au passage dans la commune. D’un autre côté, selon l’article 283, tout apport financier de Droits et de Taxes administratives doivent être versées à la Collectivité Territoriale Décentralisée, et non à une personne physique. La maire de la ville a fait l’objet d’enquêtes auprès du Bureau Indépendant anti-Corruption (BIANCO) peu de temps avant le lancement des élections communales de décembre 2024. Cela ne l’a pas empêché de se présenter à sa succession, mais elle a perdu les élections face à un candidat indépendant, selon les résultats  publiés sur le site de la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI).

 

Retards

Du côté du fokontany d’Antsirakambo, commune d’Ampasimadinika Manambolo, district de Toamasina II, l’atmosphère est un différente. Dans cette partie de la commune où l’Etablissement Gallois se trouve, l’accès est limité, sous condition d’avoir une autorisation écrite de la société. Mais pour Iambina Jean-Paul, maire de la commune et ancien employé de la société, l’Etablissement Gallois a toujours été à l’écoute des besoins de la communauté.  

Le responsable confirme avoir bien reçu les retombés pour sa commune. L’Etablissement Gallois s’est installé dans les années 1990. Sa production est plus importante que celle de Tirupati, car elle est aujourd’hui de 500 à 1000 tonnes par mois, sur un périmètre de 125 kilomètres carrés dans le fokontany d’Antsirakambo. Une production qui affiche 128.992.234 Ariary de bénéfices pour la commune d’Ampasimadinika en 2024. La somme n’a pas encore été versée dans le compte de la commune au moment de l’interview, de même qu’une partie des ristournes de l’année 2023 s’élevant à 33.301.301 Ariary.

« Même si la valeur de la production de l’établissement Gallois n’est pas encore assez claire pour nous, on nous a indiqué que cette somme était la part d’Ampasimadinika. D’autres communes comme celle de Vatomandry se posent des questions sur la vraie valeur des ristournes. De notre côté, nous ne suivons pas cela de près, même s’il y a quelques craintes » reconnaît Iambina Jean-Paul.

Le site du Bureau de Cadastre Minier (BCMM) affiche un paiement en bonne et due forme d’une ristourne sensiblement égale à celle indiquée précédemment, en 2023. D’autant que pour une société minière, le paiement des frais d’administrations et autres charges sont une condition nécessaire pour continuer l’exploitation selon l’article 354 du Code Minier.

Face à cela, Iambina Jean-Paul reste en alerte, mais la somme peine à sortir du Trésor Publique. Rakotovao Andriamihaja, chef district de Brickaville – après une réunion avec les sociétés minières – explique le retard : « Les responsables au niveau des sociétés ont indiqué qu’elles sont passées par des périodes difficiles après la période de la Covid 19. Elles n’ont donc pas pu payer une partie des ristournes pendant un court moment. » L’Etablissement Gallois et la société Tirupati ont pu continuer à fonctionner et à exploiter durant cette période, en payant une partie des charges qui leur ont été exigées par le BCMM.

 

Plus que de redevances

Dans la commune d’Ampasimadinika, comme dans celle d’Ambinaninony, la frustration des habitants ne se limite pas aux retards de paiement. Les accusations de pollution environnementale par l’exploitation minière s’intensifient.  À Ampasimadinika, des allégations de pollution de l’eau, causée par l’exploitation minière, alimentent un sentiment de méfiance croissante, tandis qu’à Ambinaninony, des rizières sont ensablées.

La Direction Régionale de l’Environnement et du Développement Durable (DREDD) Atsinanana admet que ces problèmes révèlent souvent le non-respect des cahiers des charges par les entreprises. D’après Tezena Armando, le Directeur régional de la DREDD Atsinanana, cette situation serait motivée par la quête de superprofit. Au retard des ristournes s’ajoutent alors d’autres compensations auxquelles les deux sociétés doivent répondre.

Pour l’Etablissement Gallois, les compensations se font dans les règles à Antsirakambo. « En 2022, nous avons financé la location des engins pour le terrassement, à hauteur de 19 millions Ariary pour l’habilitation d’un terrain. Il y a également la réhabilitation du Collège d’Enseignement Général pour une valeur de 3 millions Ariary, ou la dotation de plus de 3.600.000 Ariary de carburant pour la préfecture de Toamasina. Chaque année, la société fait une œuvre sociale adaptée aux demandes de la communauté. Nous avons également fondé la maison de la culture d’Antsirakambo, et payé des travaux de réparation de dallage allant jusqu’à 12 millions Ariary. » Les dons de la société sont nombreux, certains contribuent même à l’aide aux enseignants publics du fokontany. Elle affirme avoir payé, en plus de ces aides, plus de 200 millions Ariary de redevance pour chaque commune.

Les responsables de l’Etablissement Gallois expliquent que ces actions sociales sont un moyen d’entretenir une relation de bon voisinage avec la communauté : « Nous ne voyons pas vraiment les retombées dans le fokontany d’Antsirakambo, où se déroule l’exploitation, et c’est pour cela que la société s’efforce de multiplier les actions sociales. »

Iambina Jean-Paul, maire d’Ampasimadinika, lieu de l’exploitation, ne peut s’empêcher d’exprimer des craintes : « Nous leur demandons de faire des actions quand la commune ne peut pas subvenir. Mais nous essayons de ne pas trop en demander, de peur qu’ils en profitent. Nous ne faisons des requêtes que quand c’est vraiment nécessaire. » Les communes d’Ampasimadinika et d’Ambinaninony restent dans le silence.

 

Le Projet Molo : Un Géant du Graphite

Dans le Sud-Ouest de Madagascar, la ville de Fotadrevo, nichée au cœur du district d’Ampanihy, offre un décor aride. En pénétrant sur la place du marché, l’air est chargé de poussière, la chaleur est écrasante, et le bruit ambiant des marchands crée une cacophonie vivante. Sous des étals modestes, les habitants vendent des légumes, des fruits, des volailles et des produits locaux comme le “habobo”, un lait fermenté typique de la région. Accroupie à même le sol, une vendeuse de manioc Soafilira, visiblement éprouvée, partage avec amertume son quotidien :« Je souffre énormément. On n’arrive presque à rien vendre. Le coût de la vie est cher, pourtant il y a une entreprise très puissante ici, mais elle ne nous aide pas. »

Cette entreprise, c’est NextSource Materials, une société canadienne exploitant depuis plusieurs années le graphite dans cette région reculée.

NextSource Materials, dont le siège se trouve à Antananarivo se fait également appeler ERG et mène des opérations d’envergure à Fotadrevo à travers son projet phare : Molo. Ce gisement de graphite est reconnu comme l’un des plus riches au monde en flocons Superflake de haute qualité avec 98% de carbone pure.  Selon l’Initiative pour la Transparence des Industries Extractives (EITI), Madagascar dispose d’une réserve estimée à 26 millions de tonnes, plaçant le pays parmi les six principaux producteurs mondiaux, aux côtés de l’Inde et de la Chine, et au deuxième rang en Afrique après le Mozambique.

Le Directeur régional des Mines, Raonison Ria, confirme que le nouveau Code Minier, bien que promulgué, reste inopérant faute de décret d’application. Pour l’heure, les directions régionales se limitent à la gestion des permis et d’octroi des ordres de virement relatifs aux redevances minières.

 

La Question de la Redevance Minière

Conformément à l’arrêté 2020-1000, les redevances minières doivent être réparties ainsi :

  • 16 % aux provinces,
  • 14 % aux communes,
  • 30 % au BCMM,
  • 1 % à l’EITI,
  • 2 % au Comité National des Mines,
  • 2 % à l’ANOR,
  • 35 % au budget général de l’État.

Cependant, le maire de Fotadrevo, Randriamanga Théodore, déplore l’absence de versements à la commune, malgré l’activité intense d’ERG (la filiale locale de NextSource Materials). « ERG a commencé l’exportation mi-juillet, mais aucune somme n’a encore été versée à la commune », explique-t-il.

Malgré l’optimisme affiché par l’entreprise, l’exploitation à grande échelle reste entravée par plusieurs facteurs. Wilhem Reitz, Directeur général d’ERG, souligne des défis logistiques et réglementaires :« Nous avons payé les frais d’administration minière depuis 2015 et nous avons obtenu notre permis d’exploitation en 2019. Cependant, l’exportation est ralentie par les exigences des clients, qui souhaitent des quantités plus importantes avant tout envoi vers l’Île Maurice, où nous disposons d’une usine de transformation ».

ERG expédie actuellement entre quatre et cinq camions par semaine vers son entrepôt de Tuléar, chaque camion transportant environ 10 à 15 tonnes. La production atteint aujourd’hui 4 tonnes par jour, bien en deçà des objectifs initiaux de 40 tonnes.

 

Une enclave moderne au milieu du désert

L’implantation d’ERG à Fotadrevo contraste avec la pauvreté ambiante. Le site, conçu comme un village autonome, comprend des infrastructures modernes : des logements spacieux, une cantine multicolore, une salle de sport équipée, un terrain de basket, et même une piscine en construction. Alimenté par des panneaux solaires, le site produit plus d’énergie qu’il n’en consomme, un modèle exemplaire en matière d’énergie durable.

Eulalie Tanteliniony, représentante d’ERG, met en avant les bénéfices pour la communauté locale : « Nous employons 250 personnes, dont des locaux, et avons initié des projets de reforestation et d’accès à l’eau potable. »

Malgré les promesses d’ERG et les ambitions affichées, les retombées économiques pour la population de Fotadrevo restent limitées. Les habitants attendent des retombées tangibles, notamment à travers la redevance minière, qui pourrait transformer les conditions de vie locales. La question reste en suspens : la richesse minière de Fotadrevo profitera-t-elle un jour à ses habitants ? Pour l’heure, la poussière, la chaleur et l’incertitude continuent de peser sur cette petite ville du Sud-Ouest malgache.

 

                                                                                                                     Par Rova Andriatsileferintsoa et Cynthia Rahelindisa