Economie

Franchises fiscales flagrantes : injustice pour les consommateurs

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Admin . Administrateur
Publiée le 5/3/2019
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Actuellement, le prix du kilogramme du riz sur les marchés locaux se situe entre 2 400 et 2 800 Ariary, suivant sa qualité. Selon l’explication de Rasoazananirina Feno Anja, une marchande au Pavillon d’Anosibe, les prix dépendent des fournisseurs qui sont souvent des importateurs indopakistanais collaborant avec des hommes d’affaires ou des politiciens malgaches. « Nous ne fixons pas le prix, ces fournisseurs imposent leurs règles du jeu. Mais, comme nous investissons pour faire des bénéfices, nous jouons le jeu pour éviter des pertes. », a affirmé cette grossiste, lors d’une interview, le 20 octobre 2018.A Madagascar, le taux d’inflation s’est élevé à environ 8% en 2017 et en 2018. Le coût de la vie ne cesse d’augmenter. Les prix des produits de première nécessité (PPN) comme le riz, l’huile alimentaire ou le sucre connaissent une hausse insupportable au niveau des foyers dont la plupart vit encore dans la pauvreté. En 2018, Madagascar a légèrement amélioré son indice de développement humain (IDH) de 0,512 à 0,519, d’après le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD). 

Sous couvert d’anonymat, un opérateur indopakistanais employé dans l’un des plus grands magasins d’importation et de vente des PPN, sis à Ankorondrano, confirme cette influence des importateurs sur les prix des produits de première nécessité à Madagascar. « Nos patrons ont la mainmise sur les prix du riz ou de l’huile alimentaire. Ils ont le soutien infaillible des dirigeants malgaches. Il faut mentionner qu’un groupe d’opérateurs jouit d’un droit de monopole sur l’importation et les distributions des produits », a-t-il expliqué lors d’un entretien privé, le 3 janvier dernier. 

Cet opérateur, comme d’autres personnes rencontrées pour les besoins de cette investigation, ont mentionné dans leur interview le nom de Mbola Rajoanah, ancien conseiller spécial à la présidence du régime Rajaonarimampianina. Lui et ses collaborateurs auraient longtemps été de mèche avec les propriétaires de deux grands magasins d’électroménager situés à Tsaralalana et Ankorondrano en vue d’importer des produits sans payer les taxes et frais de douanes s’appliquant normalement à ces produits. Pour ce faire, les produits importés sont faussement déclarés comme produits exemptés de taxes, principalement du riz. Comme la vente est réalisée de manière informelle moyennant un paiement en liquide, le profit peut ensuite être blanchi sur le marché des biens de luxe (pierres précieuses, or, bois de rose) ou dans l’immobilier. Ces individus détiendraient de fait un quasi-monopole sur l’importation de plusieurs produits alimentaires de base. 

Le 14 novembre dernier, le Directeur général du Service de Renseignements financiers de Madagascar (Samifin), Lamina Boto Tsaradia, a évoqué lors d’un entretien cette question de monopole rendue possible grâce à une série de violations de la loi liées à des fraudes fiscales à Madagascar. Il est important de noter ici que 37 % des cas de blanchiment d’argent traités au niveau du Samifin sont liés à des fraudes fiscales qui permettent à ceux en bénéficiant de réinvestir sur le territoire national, notamment en important des PPN, matériaux de construction ou effets vestimentaires. 

Lors de notre entretien, le Directeur général du Samifin, nous a indiqué que son service estime que plus de 160 milliards d’Ariary d’argent blanchi à Madagascar possède un lien direct avec des fraudeurs fiscaux. 

 

Un système complexe 

Les consommateurs sont les principales victimes de ce système car ils subissent les impacts négatifs de l’augmentation des prix que génère l’absence de concurrence. Par ailleurs, la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) de 20% normalement prélevée sur ces produits serait systématiquement répercutée sur les prix. Pour autant, l’Etat malgache accorde des dispositifs exceptionnels sur la taxation des PPN à certaines sociétés. Ainsi, le riz bénéficie d’une exonération de TVA. 

D’après une récente évaluation des dépenses fiscales datant de novembre 2018 (voir encadré), le montant des pertes évaluées pour l’Etat – et qui devient de fait des profits pour les bénéficiaires de ces exemptions – représentait 18,93 % des recettes fiscales totales en 2017. 

 

Encadré : Le concept de dépense fiscale Selon l’OCDE, une dépense fiscale est une perte de recettes découlant d’encouragements fiscaux provenant d’une dérogation au système général d’un impôt déterminé, en faveur de certains contribuables ou de certaines activités économiques, sociales, culturelles. Une étude réalisée en novembre 2018 et publiée le 18 janvier 2019 par l’Unité des politiques fiscales (UPF) du Ministère des Finances et du Budget confirme le recours à des dépenses fiscales à vocation sociale en 2016 et 2017, avec l’objectif affiché d’alléger le coût de la vie pour les ménages à Madagascar. 

Cette évaluation montre également l’absence de transparence dans les attributions des faveurs fiscales à certaines sociétés. A la page 27 de ce rapport, il y est ainsi mentionné que les employés de l’Unité de Politique Fiscale du Ministère des Finances et du Budget éprouvent eux-mêmes des difficultés à identifier le nom des bénéficiaires de certaines exonérations fiscales.  

Ce manque de transparence a un impact direct sur la détermination des prix que les consommateurs doivent supporter. Durant nos investigations, nous avons pu identifier quelques pistes indiquant que les prix du riz et de l’huile auraient dû être maitrisés en 2017. Pourtant, cette année-là, les prix de ces produits ont considérablement augmenté. 

En 2018, Madagascar a importé 246 534 tonnes de riz, soit près de 20 000 tonnes par mois, d’après le Rapport d’exécution du Programme du Gouvernement produit par le Ministère du Commerce et de la Consommation. Sur le marché international, la tonne de riz coûtait de 410 à 442 dollars américains entre janvier 2018 et janvier 2019, soit environ 1 000 000 Ariary. Ces prix sont largement supérieurs à ceux pratiqués à Madagascar car ils feraient l’objet de spéculations par certains grossistes et détaillants. 

D’après nos entretiens avec des professionnels de ces secteurs, les importateurs profiteraient d’un contexte météorologique difficile et des infrastructures routières dégradées pour justifier des retards dans leurs approvisionnements et des augmentations substantielles de prix. 

En 2018, la douane a collecté pour près de 2 400 milliards d’Ariary de recettes budgétaires. En comparaison, un aperçu des quantités de produits bénéficiant d’exonérations en 2019 montre que le manque à gagner n’est pas négligeable, ceci parmi l’absence apparente d’influence de ces exonérations sur le prix de ces produits, qui restent élevés. 

Le manque de transparence au niveau des attributions des franchises douanières et exonérations fiscales encourage les infractions. Ces dernières entraînent des pertes conséquentes pour l’Etat. Pour cette raison, il est urgent que les pratiques changent et que la lumière soit faite sur le coût réel et le bien-fondé économique de ces dépenses fiscales, tant au niveau des secteurs où ces dépenses fiscales sont réalisées que des opérateurs économiques qui en bénéficient.