Qit Minerals Madagascar (QMM) est une filiale du géant minier Rio Tinto. La compagnie se positionne comme un acteur majeur de l’économie nationale malgache. Selon une brochure disponible dans son site web, les investissements de cette entreprise ont dépassé le milliard de dollars depuis son installation à Madagascar. Dans la phase d’opération, l’activité minière emploie directement 2.000 personnes dont 97 % sont Malgaches.
Toutefois, le développement de l’entreprise a été ponctué par de vives tensions. La lecture des événements fait ressortir une crise cyclique. Avec l’analyse de la récurrence de ces crises, il est permis de caricaturer un schéma type des événements des contestations. Manifestations, blocage de la route d’accès à l’usine, intervention des forces de défense et de sécurité, quelques arrestations, résolution des différends à l’issue de « dialogues ouvertes et constructives axés sur la légalité, la pérennité, l’équité et le respect des intérêts de chaque partie ». Il en découle des protocoles d’accord déclinés en plans d’action puis en contrat-programmes. À quelques variantes près, ces différentes évolutions des contestations ont été observées du plus ancien au plus récent, sans être exhaustif, aux événements de 2010, 2013, 2018 et 2022. Mis à part la similarité de l’enchaînement des événements, l’analyse des motifs des manifestations a fait ressortir un dénominateur commun : la frustration des communautés impactées par les activités minières.
Frustrations
Ambanihampy, est une localité sise à une vingtaine de kilomètres au nord de Taolagnaro, chef-lieu de la région Anosy. Le village domine un paysage de carte postale avec une mer calme, du sable fin à perte de vue, des cocotiers, de la verdure longeant les berges de l’embouchure d’Ambavarano. Perchées sur une petite colline, une trentaine de maisons en bois, coiffées de feuilles de ravinala forment le village. À notre venue, plusieurs dizaines d’enfants et quelques femmes et d’hommes nous regardent avec curiosité et appréhension. Ignorant cette effervescence, Aurlette, 64 ans tisse une natte dans sa petite maison.
Assise par terre, un pagne autour de la hanche, Aurlette lève à peine les yeux. Elle soulève avec ses doigts une rangée de mèche de mahampy, joncs de marécage. Elle insère une autre et serre les mailles. Elle raconte revenir d’une longue marche de cinq heures pour chercher du mahampy. Auparavant, il lui suffit d’aller à Ambavarano pour en cueillir. « J’ai appris à tresser avec ma mère et j’en ai fait un métier. Je ne sais pas en faire d’autres. Mais depuis quelques années, il est de plus en plus difficile de trouver du mahampy dans mon village. Tout a été détruit », soupire-t-elle.
En effet, le projet Ilménite de Rio Tinto/Qit Minerals Madagascar (RT/QMM) impacte directement le quotidien de la population résidant aux environs immédiats du site minier, comme les communes de Mandromondromotra, d’Ampasy Nahampoana et de Taolagnaro. Une enquête de perception menée par le réseau Publiez Ce Que Vous Payez Madagascar (PCQVP MG) auprès des villageois de ces localités en 2022 fait ressortir trois changements importants. D’après les villageois, leur environnement naturel se serait dégradé, ils auraient moins d’accès aux produits forestiers ainsi qu’au mahampy, la qualité de l’eau se serait dégradée entrainant des problèmes de santé. Les moyens de subsistance au quotidien se seraient également amoindris. Quant à la terre, elle serait de moins en moins accessible, y compris les terrains de parcours des zébus et le sol serait moins fertile. Par ailleurs, une étude menée par Randrianarisoa en 2021 démontre que les villageois des communes autour de Mandena adjacentes à la mine, ont perdu environ 45 % de la valeur de leurs revenus antérieurs depuis le début de l’exploitation.
Des inégalités
Pourtant, RT/QMM déclare injecter 2,2 millions de dollars annuellement en faveur de l’environnement et des communautés. La compagnie finance entre autres des projets à titre de compensation écologique dans des zones en dehors du site minier comme la forêt Tsitongambarika, notamment la zone d’Ampasy/Ivohibe (Bemangidy) ou le vestige de forêt littorale d’Agnalazaha, district de Farafangana. Dans les trois communes concernées par l’exploitation minière, les communautés bénéficient des projets de développement.
En effet, QMM a initié des programmes communautaires pour accompagner les communautés touchées par les opérations minières « afin de permettre d’assurer ses obligations légales et de maintenir son permis social d’opérer de façon à sécuriser ses investissements et à produire dans un cadre sociocommunautaire paisible ».
Dans la mise en œuvre de ces programmes, les communautés ont été regroupées en associations selon les domaines impactés, notamment les ressources naturelles, les ressources foncières, les ressources agricoles, les ressources halieutiques, etc. « Dans chaque fokontany, des associations ont été créées selon les activités de la population. Il y a les occupants, les usufruitiers, les éleveurs, les pécheurs… », confirme Rondro Andriamahasoro, maire de la commune rurale Ampasy Nahampoana.
Un document rapportant les activités d’un organisme d’appui travaillant avec QMM corrobore l’existence de 23 associations dans les communes de Mandromondromotra, Ampasy Nahampoana et Taolagnaro. Elles concernent 1092 ménages d’éleveurs, d’occupants traditionnels du terrain et d’usufruitiers. Ces associations ont bénéficié de plus de 400 millions d’ariary entre avril 2021 et mars 2022. La compagnie cite par ailleurs quelques success stories dans une brochure disponible dans son site web. Il s’agit entre autres de l’association Mpanantany mitaky ny rariny (Mpamira) qui aurait amélioré de 200 % le revenu des membres grâce à la culture de piment rouge et à l’apiculture.
À travers des formations pour l’amélioration des techniques de pêche, des pêcheurs auraient augmenté leur rendement de 3 à 15dollars par jour, par pêcheur.
Les flux financiers injectés par RT/QMM génèrent parfois des conflits et divisent la communauté à cause de mauvaises gouvernances. « De temps en temps, nous arbitrons les conflits dans ces associations. Les membres n’ont pas confiance au président et au trésorier car ils sont soupçonnés de détourner l’argent de l’association », témoigne le maire d’Ampasy Nahampoana.
Dans ces structures mises en place, ce sont les membres de bureau qui représentent les associations. Selon des propos recueillis sur le terrain, ils parlent au nom de tous les membres et parfois « mangent » à leur place. « On n’est pas en relation directe avec QMM pour défendre nos intérêts, c’est le président et les porte-paroles qui nous représentent… On a l’impression qu’ils ne défendent que leurs seuls intérêts et oublient qu’ils parlent en notre nom à tous », regrette une résidente d’Ampasy Nahampoana. À la lumière de ces flux financiers importants, la pauvreté devrait trembler.
La compagnie RT/QMM injecte des dizaines de millions d’ariary par an par associations, mais aussi des milliards d’ariary de ristournes et de redevances minières pour les trois communes riveraines de l’exploitation à Mandena.
De l’argent à flot
D’après le rapport assoupli 2019-2020 de l’Initiative pour la Transparence des Industries extractives (ITIE), la contribution fiscale de QMM a atteint 89 millions de dollars entre 2006 et 2020. Les prévisions entre 2021 et 2025 est de 71 millions de dollars. D’après la Convention d’établissement, l’entreprise verse une redevance et ristourne équivalent à 2 % de la valeur FOB de sa production. Selon la législation en vigueur, la répartition des ristournes de cette activité minière est comme suit :
Tableau 1 : Formule de partage des ristournes minières
Suivant la Loi n°2014-020 | Suivant le Décret n°2020-1000 (applicable à partir de août/septembre 2020) | ||
Bénéficiaires | Quote-part | Bénéficiaires | Quote-part |
Fonds National de Péréquation (FNP) | 10% | – | – |
CTD | 90% | CTD | 100% |
Commune | Commune | 60% | |
Région | 30% | Région | 39% |
Province | 10% | Province | 1% |
Total | 100% | Total | 100% |
Bien que prévue dans la Constitution, la Province n’est pas encore structurée. Ainsi, la part de cette collectivité territoriale de l’État est attribuée à la Région Anosy. Cette proportion paraît minime par rapport aux profits générés par cette activité minière. Toutefois, en termes réels, cette manne financière se chiffre en plusieurs milliards d’ariary.
De 2019 à 2021, la commune rurale de Mandromondromotra a reçu des ristournes issues des activités de QMM à plus de 2,600 milliards d’ariary. Certains administrés dénoncent l’opacité de gestion et s’insurgent contre l’enrichissement du maire. « (…) Mais à combien est-il rémunéré ? Sans diplôme ni activités claires, comment fait-il pour acquérir cinq ou six maisons en dur et sept ou huit voitures sans parler de plusieurs terrains… ? », s’interroge Tsivasa Jeanson, un habitant de Mandromondromotra.
Ces questions auraient motivé les doléances anonymes déposées auprès de la Direction territoriale du Bureau anticorruption (Bianco) à Toliara en 2019. Des dénonciations fondées d’autant que les investigations menées par ce service anticorruption ont fait ressortir l’opacité dans la gestion de 900 millions d’ariary dans cette commune entre 2017 et 2019. L’enquête a révélé que la dernière écriture dans le livre journal de Mandromondromotra remonte à février 2019. Ainsi, la traçabilité de l’utilisation des fonds à partir de cette date a été impossible à établir. Par ailleurs, les investigations du Bianco ont mis en évidence des dépenses sans justification de 300 millions d’ariary en 2017, de 400 millions en 2018 et d’autres factures fictives et dépenses inutiles d’un montant de 200 millions d’ariary.
88 factures fictives
Lors de l’audition des responsables mis en cause, le secrétaire trésorier comptable (STC) de cette commune a admis avoir établi 88 factures fictives en connivence avec le maire. En vertu de l’article 63 du décret 2015-960 du 16 juin 2015 fixant les attributions du chef de l’exécutif des collectivités territoriales décentralisés, le compte administratif des communes rurales de deuxième catégorie est établi par le chef de l’exécutif avec l’appui du représentant de l’Etat territorialement compétent ou son délégataire. Pourtant, « Le maire a rejeté en bloc les responsabilités sur ces factures fictives. Or, la Loi dispose qu’il est l’ordonnateur des dépenses. Ainsi, il est sensé connaître tous les détails des recettes et des dépenses de cette commune. Il s’agit de détournement de deniers publics, faux et usage de faux et aussi un abus de fonction», explique Hery Rakoto Andriamparany, directeur territorial du Bianco Toliara.
À l’issue de cette affaire, les frustrations des administrés ont monté d’un cran, car la Justice a été magnanime envers les deux responsables. Le maire a été relaxé « au bénéfice du doute » et le secrétaire trésorier comptable a écopé de cinq ans de prison avec sursis.
De la transparence ?
Selon la loi 2004-020 du 27 septembre 2014 régissant les ressources des collectivités territoriales décentralisées, le contrôle des comptes administratifs des communes est de deux niveaux. Le représentant de l’Etat effectue le contrôle a posteriori de légalité des comptes administratifs tandis que le Tribunal financier, territorialement compétent se charge du contrôle juridictionnel du compte du comptable. Ces deux communes auraient envoyé régulièrement leurs comptes administratifs au niveau du district de Tolagnaro pour un contrôle de légalité.
Toutefois, les deux communes rurales Mandromodromotra et Ampasy Nahampoana n’ont jamais fait parvenir leur rapport de gestion financière auprès du tribunal financier de Toliara.
Dans le cadre de l’établissement de son rapport, l’Initiative pour la Transparence des Industries Extractives (ITIE) Madagascar a effectué des descentes auprès des régions et communes impactées par les grands projets miniers. Les comptes administratifs de ces entités ont été publiés dans son Rapport assoupli 2019-2020, Final du 30 juin 2022. Les recettes des communes de Mandromondromotra et Ampasy Nahampoana de 2019 à 2021 sont réparties comme suit :
Récapitulation des recettes des communes de Mandromondromotra et Ampasy Nahampoana 2019-2021 selon le rapport assoupli ITIE
COMMUNE RURALE MANDROMONDROMOTRA | |||
RECETTES (MONTANT MGA) | |||
Années | 2019 | 2020 | 2021 |
Impôt foncier sur la Propriété Bâtie | 0,00 | 0,00 | 60.000,00 |
Impôt Foncier sur les terrains (IFT) | 0,00 | 0,00 | 0,00 |
Produit de ristourne | 873.320.748,33 | 0,00 | 0,00 |
Redevances sur autorisations administratives | 0,00 | 0,00 | 0,00 |
Autres recettes | 17.820.455,05 | 947.381.215,18 | 1.514.340.446,70 |
COMMUNE RURALE AMPASY NAHAMPOANA | |||
Années | 2019 | 2020 | 2021 |
Impôt foncier sur la Propriété Bâtie | 5.438.500,00 | 1.862.000,00 | 3.925.750,00 |
Impôt Foncier sur les terrains (IFT) | 2.253.000,00 | 2.981.500,00 | 2.631.000,00 |
Produit de ristourne | 107.000,00 | 2.309.600,00 | 0,00 |
Redevances sur autorisations administratives | 7.150.000,00 | 6.350.000,00 | 150.000,00 |
Autres recettes | 1.641.469.238,59 | 1.781.731.566,01 | 2.964.133.502,70 |
Et des zones d’ombres
D’après ces informations fournies, les fonds versés par RT/QMM semblent ne pas figurer dans les caisses des deux communes notamment pour les exercices 2020-2021. Il est marqué zéro ariary dans le compte 7717 « produit des ristournes ». Toutefois, une importante somme est enregistrée dans le compte « autres recettes ». Afin d’éclairer cette situation, le Tribunal Financier de Toliara a été consulté. Ainsi, une enquête autour de la gestion financière des deux communes Mandromodromotra et Ampasy Nahampoana. Cette juridiction a demandé les comptes administratifs de ces deux collectivités. Comparés aux comptes publiés dans le rapport ITIE, des écarts importants ont été constatés. « Si l’on considère que c’est la situation de transfert effectuée par le Trésor a ces communes, alors il y a eu détournement de deniers publics (…) toutefois, il se pourrait que les fonds n’aient pas encore été encaissés dans le compte de ces communes au moment de la production du compte administratif (…) Par ailleurs, il pourrait s’agir tout simplement d’une erreur d’écritures », explique Hoby Zo Namehaniaina, magistrat conseiller auprès du Tribunal Financier de Toliara.
Les retombées économiques de l’exploitation minière à Mandena ont apporté du changement positif sur les conditions de vie et bien-être quotidien dans les villages. A ce titre, six familles sur dix ont désormais accès aux soins médicaux auprès des CSB2, soit une hausse de 12 % par rapport aux chiffres de l’année 2005. Neuf familles sur dix ont accès à l’éducation de qualité auprès des EPP grâce à la construction d’écoles près de leurs villages, soit une hausse de 8 % au cours de ces dernières 17 années.
Toutefois, une attention particulière doit être apportée sur la gestion des fonds au niveau des communes, la gouvernance des associations, l’impact environnemental de l’exploitation minière, les rôles ambigus de l’État et les services techniques décentralisés.
La Convention d’établissement va être renouvelée en 2023. C’est une occasion à saisir pour établir un partenariat gagnant-gagnant pour que Rasoa, cette agricultrice de Mandromondromotra ne lègue la pauvreté à sa descendance comme héritage ou que Aurlette n’ait plus de quoi vivre dignement ses vieux jours.