Réseau Malina Article mis à jour le 07 Juin 2020
Chaque enseignant de la Circonscription scolaire (Cisco) de Mandritsara est obligé de payer entre 15 000 et 20 000 Ar afin de prendre son bon de caisse, récupérer sa solde, et constituer son dossier administratif. L’absence de subvention venant de l’Etat et l’isolement de Mandritsara incitent certains responsables peu scrupuleux à soutirer illégalement cette somme. Les enseignants acceptent de payer, de mauvaise grâce, craignant que l’on ne s’occupe de leur dossier.
C’est le service des « Ressources Humaines » au sein de la Cisco de Mandritsara qui perçoit cet argent, sans aucune pièce justificative, ni reçu, ni signature. Pour constituer son dossier, un enseignant doit payer de 15 000 Ar à 20 000 Ar, en sus de ce qu’il a payé pour tous les autres préparatifs déjà effectués. Au sein de ce service, trois fonctionnaires sont chargés des dossiers des enseignants et prélèvent ces frais illégaux. Un enseignant formateur au sein du Centre Régional de l’Institut National de Formation Pédagogique (CRINFP) de Mandritsara qui a choisi de rester dans l’anonymat explique :
« C’est une manière d’agir que je n’ai jamais vu faire ! Les responsables demandent beaucoup d’argent, alors qu’à ma connaissance ils ne font que le travail pour lequel ils sont déjà payés par l’Etat. Les enseignants n’osent pas protester par peur et se plient à des agissements illégaux. ».
Mandritsara : une grande circonscription dépourvue de subventions
Mandritsara est le plus grand des sept districts de la Sofia. Il est situé à 185 km d’Antsohihy, la capitale de la région. Environ 80% des fonctionnaires de Mandritsara sont des enseignants : au total, il y a environ 3700 enseignants fonctionnaires et enseignants FRAM, répartis dans 32 zones administratives pédagogiques.
« Sans subventions venant de l’Etat et à cause de l’éloignement, on demande aux enseignants de payer pour préparer les papiers », selon les explications du chef de la Cisco de Mandritsara, Indriantsifera Radison Zaralahy.
Les subventions de l’Etat ont cessé depuis 2010. C’est la Cisco qui pourvoit au fonctionnement, mais elle n’a aucune rentrée particulière d’argent car tous les services que l’on y rend sont supposés être gratuits. Par ailleurs, le chef de la Cisco de Mandritsara explique que l’indemnité et la prise en charge de l’Etat pour les frais de mission n’arrivent pas à temps.
« A Mandritsara, le fonctionnaire préposé au service des dossiers ne se fie plus à cette indemnité venant de l’Etat car elle tarde trop à être débloquée, avec plusieurs mois de retard. Pour chaque mission, le fonctionnaire exige à l’avance le paiement de l’indemnité et des frais de déplacement, de restauration et d’hôtel. Comme la Cisco de Mandritsara n’a pas de fonds, c’est, selon moi, la raison pour laquelle cet argent est demandé aux enseignants qui ont des dossiers à constituer ».
Le Chef Cisco est d’avis que « le fait d’envoyer un missionnaire à Antsohihy et à Antananarivo a accéléré le traitement des dossiers. Les demandes ont obtenu une réponse rapide ». Pour IndriantsiferaRadisonZaralahy, « Cette manière de faire est devenue une habitude pour les enseignants. Cependant, j’ignore qui a fixé le montant à 15 000 Ar jusqu’à 20 000 Ar».
Les missionnaires ne sont autres que les responsables
Les trois fonctionnaires de la section « Ressources Humaines » de la Cisco de Mandritsara se relaient pour effectuer les missions en dehors de la région et apporter les dossiers des enseignants. Le Chef ZAP de la commune rurale d’Antsirabe, Denis Razarafeno, explique qu’à cause du grand nombre d’enseignants à Mandritsara:
« les responsables des dossiers au sein de la Cisco s’arrangent entre eux pour aller à Antsohihy ou à Antananarivo pour traiter les dossiers des enseignants. Ils disent que la route est longue et que les dossiers ont besoin d’être suivis de très près pour être traités. Pour cela, on continue jusqu’à ce jour à demander de l’argent aux enseignants ».
Le coût d’un dossier pour Antsohihy est de 15 000 Ar, contre 20.000 Ar pour Antananarivo, sans aucune note ni affichage. Les procédures ne sont clarifiées que lorsqu’un enseignant veut constituer un dossier et a besoin d’un supplément d’information. Le service reçoit chaque mois une centaine de dossiers. Les réclamations de paiements illicites aux enseignants ont débutéen 2016et seuls ceux qui se sont acquitté de cette somme peuvent bénéficier du service. Ceux qui ont la possibilité de prendre en main leur dossier peuvent le faire eux-mêmes.
D’autres occasions de soutirer de l’argent….
Plusieurs dossiers sont traités auprès de la Cisco Mandritsara : la retraite, le renouvellement du contrat d’enseignant, la demande de promotion, etc. Il faut consacrer une semaine et débourser un minimum de 60 000 Ar pour constituer chaque dossier. «C’est une lourde charge pour nous. Nous versons tout l’argent auprès du service des « Ressources Humaines », où l’utilisation de chaque matériel est aussi payante. On ne s’occupe pas de notre dossier si nous ne respectons pas ces directives données par les responsables.», selon un enseignant d’une EPP d’Antsirabe, district de Mandritsara, qui a choisi lui aussi de rester dans l’anonymat.
Pour avoir son bon de caisse, l’enseignant dont le salaire n’est pas viré à la banque doit également payer 500 Ar auprès du responsable des salaires au sein de la Cisco. Ce paiement appliqué depuis2010, n’est mentionné dans aucune note de service ni affichage et aucun reçu n’est délivré.
«J’ai voulu connaître les raisons de ce paiement, et on m’a répondu que c’est une règle tacite à laquelle tous les enseignants de Mandritsara sont habitués », confie un enseignant de l’EPP d’Andilana, dans la commune rurale d’Antsôha Mandritsara.. « Même si la somme est modique, il nous est difficile de la payer. J’ai l’impression que ce paiement est directement empoché par le responsable et n’a aucun impact sur la rapidité de traitement des dossiers. En effet, je perçois toujours mon salaire même si je ne paie pas ».
Un autre enseignant formateur au sein du CRINFP de Mandritsara souligne que ces 500 Ar prélevés mensuellement n’ont aucun impact sur le traitement des dossiers. « Cela ne change rien du tout car nous continuons toujours à toucher notre salaire en fin de chaque mois, alors que nous comptions le toucher entre le 18 et le 20 du mois ».
Du côté de l’Administration, Pierre Michel de la section Finance de la Cisco explique que :
« ces 500 Ar servent de frais de déplacement pour celui qui est chargé de récupérer le bon de caisse à Antsohihy. Beaucoup d’enseignants ne paient pas mais reçoivent néanmoins leur salaire. Cependant, les bons de caisse tardent si on ne va pas les chercher là-bas. »
Utilisation de matériels à des fins personnelles.
Autre technique pour soutirer de l’argent aux enseignants : la location d’équipements personnels. Au sein de la Cisco de Mandritsara , les fonctionnaires chargés de la gestion des dossiers utilisent des ordinateurs flambants neufs. Ces ordinateurs leur appartiennent personnellement, car la Cisco ne possède que de vieilles machines à écrire dont la plupart sont hors d’usage. Grâce à ces équipements, les enseignants peuvent imprimer ou photocopier des documents sur place. D’ailleurs, certaines pièces indispensables ne se trouvent qu’auprès de ces responsables. Pour chaque service informatisé, les enseignants doivent payer en plus. Les fonctionnaires de la Cisco ne trouvent rien à redire à cette organisation interne : chacun utilise son équipement personnel, tient ses propres comptes et gère sa propre « clientèle ». Les nouveaux enseignants sont dispatchés entre les responsables, pour que le partage de la « clientèle » soit égal. Gilbert, de la section « Ressources Humaines » de la Cisco de Mandritsara explique :
« On a constaté que les services de l’Etat ne fonctionnent pas et on a cherché des solutions. Nous demandons de l’argent aux enseignants pour que nous puissions payer nos frais de déplacement, de restauration et d’hébergement durant le suivi des dossiers. Nous ne pouvons pas payer de nos poches les dépenses d’un travail pour l’Etat. Par ailleurs, toutes les machines de la Cisco sont hors d’usage. C’est par bonne volonté que nous avons apporté nos propres ordinateurs afin d’effectuer notre travail Autrement, le traitement des dossiers est bloqué».
Pour Gilbert, il serait difficile de se défaire de cette pratique qui se perpétue jusqu’à maintenant, « étant donné qu’elle est répandue et connue de tous ». En 2018, un groupe d’enseignants a contesté ce système et déposé une plainte. Ayant rencontré la presse locale, ces enseignants mécontents ont dénoncé cette taxation illicite.
« En conséquence, nous avons rapporté tous nos outils de bureau à la maison », se rappelle Gilbert, « et on est revenu aux machines défectueuse. Résultat : nous ne faisions que garder les bureaux, les travaux se sont accumulés par manque d’équipements. Beaucoup d’enseignants sont venus nous voir pour nous demander de ramener nos équipements personnels pour que le travail reprenne. Beaucoup d’entre eux ont même accepté que l’on augmente la somme à payer si c’était nécessaire pour que l’on continue à travailler. Certains enseignants refusent de dépenser de l’argent, ils veulent que le travail soit fait gratuitement, mais cela ne nous convient pas. »
Corruption à Mandritsara : une pratique qui perdure
Le secteur de l’éducation a bénéficié d’une formation et d’une instruction contre la corruption et la Cisco de Mandritsara n’y fait pas exception. Une affiche invitant chacun à travailler en toute transparence est encore collée au mur du bureau. De son côté, le Chef Cisco de Mandritsara dit avoir « demandé aux responsables de mettre fin à ces paiements illégaux ». Il affirme que cette pratique aurait cessé et “qu’il n’y a jamais eu un enseignant qui n’ait pas touché son salaire au sein de la Cisco de Mandritsara”. Le Chef Cisco dit suivre le cheminement des dossiers numérotés en bonne et due forme mais reconnait, cependant, à mi-voix que la corruption reste latente. Il dit ainsi craindre que «cette pratique illégale ne refasse de nouveau surface incessamment car, d’un côté comme de l’autre, on y est tellement habitués.» Le Chef Cisco rapporte en effet avoir reçu beaucoup de plaintes de la part des enseignants qui ont choisi de se déplacer directement à Antsohihy pour constituer leurs dossiers. Ces derniers se disent victimes de pots-de-vin réclamés par le responsable des soldes à Antsohihy. Résultat : les enseignants reviennent négocier auprès du missionnaire de la Cisco de Mandritsara par souci d’économie.
L’extorsion d’argent continue
Nos investigations le confirment : cette pratique perdure et la plupart des conseillers pédagogiques et des chefs ZAP de Mandritsara sont au courant. Cependant, si certains enseignants et victimes reconnaissent l’illégalité de ce système, d’autres disent l’accepter car il faciliterait la réalisation du travail, bien que bon nombre d’entre eux estiment que « 15 000 à 20 000 Ar, c’est trop cher » comme l’explique un enseignant à l’EPP d’Antsirabe Mandritsara. Néanmoins, un bon nombre de fonctionnaires craignent que le refus de payer ne compromette leurs dossiers et n’entraîne de fâcheuses répercussions pour leur carrière.
D’après le Chef Cisco, cette affaire de corruption a fait l’objet d’un rapport auprès des responsables de la Direction Régionale de l’Education Nationale (DREN) Sofia. Lors d’une rencontre, le directeur régional RakotovaoRazafimandimby, a affirmé avoir reçu en 2018 des plaintes concernant cette extorsion d’argent par le préposé aux dossiers des enseignants de Mandritsara. Cette année-là, il y aurait eu des enquêtes faites auprès des enseignants. Par ailleurs, les responsables au sein de la Cisco ont été rappelés que tout traitement de dossier et tout service administratif est gratuit. Rakotovao Razafimandimby réfute les propos qui accusent le responsable du paiement des soldes d’Antsohihy exige de l’argent. Quant au Chef district et au Maire de Mandritsara, ils ont tous les deux affirmé n’avoir reçu aucune plainte concernant une corruption ou une exploitation de la part des responsables au sein de l’enseignement. Le Chef district de Mandritsara, Léon Fulgence dit « convoquer aussitôt les responsables dès qu’il reçoit des plaintes à ce sujet, en tant que premier responsable étatique. »
La solution revient à l’Etat et au Ministère de l’Education Nationale qui doivent accorder un budget de fonctionnement à chaque Cisco, d’après le Chef Cisco de Mandritsara, Indriantsifera Radison Zaralahy.
« La réalité est source de tentation », dit-il, « mais le travail de l’Etat doit être fait. Toutes les catégories, les enseignants, les responsables et les dirigeants au sein de la Cisco, doivent être solidaires et ensemble ils devraient déposer une plainte auprès de la Direction Régionale de l’Education Nationale à Sofia. Ensuite, c’est à celle-ci de faire part de cette plainte aux autorités supérieures. »