Hausse du nombre des cas de malnutrition, hausse du taux de chômage, abandon scolaire… Ce sont, parmi tant d’autres, les souvenirs laissés par la covid-19 dans la vie quotidienne des Tuléarois. Décryptage.
Avril 2022. Nous sommes à Mangily, entre désert et mer, un paysage féerique qui associe les vieux baobabs à la mer bleu corail. Et pourtant, la vie sur place est loin d’être idyllique. Depuis la crise et la fermeture des territoires, la population vivant exclusivement du tourisme se retrouve sans ressource du jour au lendemain.
La vie se devant de continuer, au Collège d’Enseignement Général, les bancs sont à moitié vides.« Avant d’être nommé directeur en octobre 2021, j’étais professeur de physique, ici, depuis 2017. Les élèves aimaient venir à l’école, auparavant. Mais j’ai remarqué que depuis la pandémie de la covid-19, surtout après les périodes de confinements, ça a changé. La covid-19 a eu un gros impact sur l’éducation. Après avoir été confinés plusieurs mois, les élèves semblent avoir pris goût à l’absentéisme et perdu l’intérêt pour l’école », confie Renahiny Pierre Chrysologue, directeur du CEG Mangily.
La plupart des parents d’élèves du CEG Mangily travaillent dans les hôtels environnants ou vivent des produits du tourisme. « Mais les touristes ne sont plus aussi nombreux qu’avant la pandémie. C’est donc de plus en plus compliqué pour les parents de s’acquitter de la cotisation mensuelle de 2.000 ariary par élève, affectée aux subventions des maîtres FRAM. Bon nombre d’entre eux n’ont d’autre choix que de ne plus envoyer leurs enfants à l’école », poursuit-il. A noter que 7 enseignants sur 18 sont payés par les parents d’élèves au CEG Mangily.
Le directeur de l’établissement déplore ce fort taux d’abandon scolaire. Et le cas est loin d’être isolé puisque le même problème survient au niveau de nombreux établissements scolaires, aussi bien publics que privés. Une source auprès de la Direction Régionale de l’Éducation Nationale d’Atsimo Andrefana le confirme, en indiquant que les pertes d’emplois sont à l’origine de cette situation. « Bon nombre de parents se retrouvent dans l’obligation de retirer leurs enfants du circuit scolaire et de les insérer malgré eux dans la vie active pour qu’ils aident à subvenir aux besoins de la famille », livre notre source.
Les jeunes filles lésées
“Quand il faut faire un choix, les familles préfèrent envoyer les garçons à l’école au lieu des filles » se désole Dely qui tient la classe préscolaire à l’EPP Mahavatse I. Une triste réalité devenue monnaie courante dans la capitale de la région Atsimo-Andrefana. Habitant dans le voisinage de la salinière d’Ankililibe, elle a fait ce triste constat. « Une organisation œuvre sur place afin de faciliter l’accès à l’éducation de qualité aux enfants les plus démunies et pourtant les parents préfèrent envoyer leur enfants à la saline pour des petites sommes journalières » appuie notre source qui se désole que les parents ne voient pas les solutions à long terme. La situation est telle que certaines localités sont identifiées comme étant des zones rouges : la salinière d’Ankilibe, les mines de diamants de Sakaraha pour le travail des enfants et les plages de Mangily pour le tourisme sexuel.
Pour l’année scolaire 2019-2020, 272.780 garçons ont été inscrits en école primaire, contre 147.467 filles. A mesure que le niveau monte, moins de filles sont inscrites à l’école. Outre les causes parentales, ce sont les élèves eux-mêmes qui ne sont plus intéressés. Comme le cas du CEG de Mangily, au directeur de témoigner « arrivées à un certain âge, les jeunes femmes préfèrent entamer des relations amoureuses au lieu de se concentrer aux études ».
Des actes de violences signalés
Outre le droit à l’éducation, le droit des enfants à être protégés de toute maltraitance est aussi bafoué. Selon les statistiques recueillies auprès de la plateforme pour la protection des enfants de Toliara, près de 590 plaintes ont été reçues entre 2020 et 2022. Un chiffre en hausse, par rapport aux dernières statistiques. La plateforme enregistrait environ six à sept plaintes par mois, auparavant.
Les cas de violences sexuelles ont été les plus fréquents avec un taux de 13,55%, parmi les signalements. « Ce n’est pas très reluisant, mais c’est un fait. Il peut s’avérer réducteur d’attribuer la cause de cette hausse du nombre de cas de violences perpétrées envers les enfants la covid-19, mais ce n’est pas à écarter », explique Soaniriko Louisetinah, responsable auprès de la plateforme.
En outre, plusieurs ONG locales évoquent une hausse des cas de malnutrition. « Certes, le lien entre la covid-19 et la malnutrition est difficile à démontrer. Et pour cause, hormis la crise sanitaire, le changement climatique a déjà constitué un facteur majeur de la malnutrition et la période de kere a coïncidé avec l’arrivée de la pandémie. Mais on peut dire que la covid-19 a également amplifié la situation en termes de malnutrition », relate Claudine Jacquemet responsable de l’ONG Action Contre la Faim, à Toliara. Un fait confirmé par l’ONG Bel Avenir et constaté au CSB2 d’Antsahalava, selon les statistiques recueillies. « Nous avons remarqué une hausse des cas de malnutrition depuis les premiers cas de l’épidémie. Si, avant, nous n’enregistrions presque pas de cas, au temps fort de la covid-19, ces cas ont connu une hausse et nous avons pu recenser environ sept cas par mois », souligne le responsable du CSB2 à Antsahalava.
Le responsable de remarquer également une baisse du taux de fréquentation du centre de santé, notamment, depuis la covid-19. Elle avance que les gens ne se soucient plus trop des offres médicales à cause de la cherté de la vie, et préfèrent opter pour les remèdes naturels.
Insécurité
Le problème des pertes d’emplois, et la hausse des prix des PPN forment en outre un mélange détonnant : l’insécurité. Willy Martial Ranoarison, directeur régional de la sécurité publique, de la région Atsimo Andrefana explique : « l’insécurité est de plus en plus grandissante. Elle se manifeste à présent par des actes de banditisme et des vols de récoltes dans les champs. Elle ne se limite plus aux vols de bœufs, comme auparavant ». Les gens n’osent plus sortir tard la nuit. « Nos vies ont radicalement changé après l’arrivée de la pandémie à Madagascar, même si Toliara n’a pas tellement vécu la covid-19, comme cela a été le cas, tel qu’il nous a été communiqué, dans la capitale. Avant, nous pouvions sortir tranquillement à n’importe quelle heure. Maintenant, il nous est impossible de sortir après 21 heures, par peur des bandits », indique une jeune qui vit dans le quartier de Mahavatse. Elle craint même que les conducteurs de cyclo-pousse ne soient de connivence avec les bandits qui s’attaquent aux clients.
Le directeur régional de la sécurité publique note que si les armes à feu étaient auparavant l’apanage des voleurs de bœufs, même les voleurs de rues en sont pourvus en ce moment. Les statistiques recueillies auprès du Groupement de la Gendarmerie Nationale d’Atsimo Andrefana révèlent d’ailleurs une hausse des actes de banditisme et de vols de bœufs. Les statistiques du Groupement de la Gendarmerie Nationale Atsimo Andrefana évoquent 212 cas de vols de zébus en 2021 et 127 arrestations, une cinquantaine d’actes de banditisme et autant d’arrestations.
Reprise économique incertaine
Il est encore trop tôt pour parler de reprise économique dans l’Atsimo Andrefana. Connue pour sa sécheresse, la région peine à s’appuyer sur l’agriculture. Pire, selon le directeur général de la sécurité publique, les dahalo s’attaquent actuellement aux agriculteurs. « Il n’est pas rare de voir des attaques à mains armées dans les champs et les bandits volent des produits agricoles ».
La faim justifie le moyen effectivement. En ce qui concerne le tourisme, les établissements hôteliers essaient tant bien que mal d’ouvrir malgré le fait que les touristes internationaux n’affluent pas. Entre les impôts, la paie des employés, la plupart des hôtels se contentent de maintenir les activités à flot en attendant la reprise.