Après une ruée vers le berrylium jusqu’en mars 2021 qui a drainé des milliers de personnes, Andilana Avaratra illustre l’image d’un site décadent où l’insécurité, le danger et la pauvreté côtoient une immense richesse.
C’est un écosystème particulier qui s’est installé dans la carrière d’Andilana Avaratra, district d’Amparafaravola, alors que des milliers d’exploitants de diverses origines sont venus tenter la chance. C’est une ruche humaine qui gravite autour des campements à toute heure du jour et de la nuit.
Il n’y a pas d’heure pour creuser, en quête d’un bon filon: ici, on descend dans les trous, de jour comme de nuit. Environ dix hommes se relaient pour creuser chaque trou, qui descend jusqu’à plus de 50 m sous terre. “C’est la profondeur idéale pour trouver les pierres de qualité”, disent-ils. Creuser un trou d’un mètre de diamètre qui descend jusqu’à 80 m sous terre leur demande plus d’un mois de travail acharné, à la force de leurs bras. Bien évidemment, personne ne porte d’équipements particuliers pour se protéger la tête, les mains ou le corps. Pire encore, aucune bouteille d’oxygène à leur disposition. Les chercheurs de pierre utilisent plutôt des sacs de cellophane qu’ils transforment en bouteille de fortune : une personne est dédiée en permanence à ce poste, pour éviter tout étouffement. La moindre inattention est fatale pour l’ensemble du groupe. En quatre mois d’exploitations, la carrière d’Andilana Avaratra a connu des décès dans des conditions aussi difficiles, conséquence de l’absence de sécurité dans ces exploitations artisanales.
Savoir-faire et expériences
Creuser la terre pour en extraire ces pierres doit se faire en équipe. Avec un système de rotation, chacun creuse avec la barre à mine et la pelle à tour de rôle. Il est préférable pour les “creuseurs” d’avoir une certaine expérience avant de se lancer dans cette aventure. Généralement, ce sont des hommes qui se sont déjà lancés antérieurement dans la quête de pierres et qui décident de continuer leurs activités de site en site. “Il faut savoir retracer le bon filon avant de creuser. Pour cela, on s’informe sur les zones où la première pierre a été extraite dans la carrière. C’est un secrêt que seuls connaissent ceux qui ont travaillé dans les mines et les carrières depuis des années et qui ont une bonne connaissance des pierres”, confie Randriamandranto, 47 ans. “Le danger en creusant sans avoir une idée de la manière de procéder, c’est que votre galerie peut mener vers un gros rocher par exemple: vos recherches seront vouées à l’échec et vous aurez perdu du temps pour rien.”
Dans ce cas, à moins d’avoir l’équipement adapté, les chercheurs de pierres préfèrent abandonner cette galerie et en creuser une nouvelle. Autrement, ils utilisent de la dynamite pour faire exploser l’obstacle. Les bâtons de dynamite nécessaires pour désobstruer une galérie coûtent environ 400 000 Ariary : il s’agit d’un type spécial de dynamite, utilisé dans l’exploitation minière et dont la manipulation exige le savoir-faire d’un technicien chevronné. Ce type de bâton de dynamite n’a pas encore été utilisé à Andilana Avaratra.
Chacun son rôle, chacun sa part
Dans les carrières, chacun à son rôle. Les creuseurs, d’un côté, qui descendent dans les galéries. Puis de l’autre côté, ceux qu’ils appellent “patrons”. Ces derniers prennent en charge les premiers : ils les ravitailllent en vivres et en produits de première nécessité et leur donnent les outils nécessaires pour creuser. Les petits exploitants suivent les directives de leurs patrons. Les patrons peuvent acheter toutes les pierres extraites à un prix modique. Ils peuvent aussi répartir les récoltes avec ses hommes, et ses derniers lui revendent leurs parts à un prix tout aussi modique. Enfin, les patrons peuvent revendre les pierres à leurs clients, en fixant eux-mêmes leurs propres prix. Le mode de répartition des gains et la reprise des pierres par les patrons dépendent des négociations entre les hommes qui creusent et leurs patrons. Mais une règle est immuable : les creuseurs ne touchent pas de salaires quels que soient les gains, et les patrons ne se font pas rembourser si jamais la galérie n’a pas de pierres particulières.
En général, ils s’entendent pour répartir proportionnellement les gains. Si l’équipe compte dix hommes, les récoltes sont distribuées en onze parts: dix pour les creuseurs et une, pour le patron. Parfois, les groupes s’entendent pour une distribution à 50% : la moitié des récoltes est accordée aux ouvriers quelle que soit la taille de la récolte, et l’autre moitié revient au patron. Enfin, on pratique aussi la règle des tiers : un premier tiers des gains est donné à l’équipe des creuseurs, le second tiers est raflé par le propriétaire de la galérie et le dernier tiers revient au patron qui approvisionne en nourritures et en équipements. Les ouvriers sont alors libres de vendre leurs pierres à tout client potentiel. Les dépenses affectées à chaque équipe sont évaluées à trois voire quatre millions Ariary tous les quinze jours, sans compter le coût des amusements bien arrosés de fin de semaine.
Petites astuces et ruses entre exploitants
Les galéries ne peuvent pas toutes, systèmatiquement, donner des pierres. Tous les exploitants miniers ne sont pas obligatoirement promis à un gain pharaonique. Certains creusent la terre pendant des années, se déplacent de carrière en carrière, de région en région sans jamais tomber sur “la” pierre qui changera leurs vies. La plupart du temps, ils s’en sortent bredouilles. Cette roulette russe est une porte ouverte aux petites ruses, parfois rocambolesques. Certains décident d’avaler les petites pierres trouvées et les évacuent le lendemain par la selle : une “astuce” qui leur permet de dissimuler leurs trouvailles. D’autres décident de tracer à la lame une plaie relativement profonde sur une jambe pour y cacher les minuscules pierres, avant de recoudre la blessure par soi-même ou avec l’aide d’un complice. Ils attendent de sortir de la carrière pour rouvrir la plaie et récupérer les pierres. La façon la plus courante, c’est de cacher les pierres dans un coin de son vêtement ou de son lamba : mais cette technique est d’une telle évidence que plus personne n’ose la pratiquer, car ce sont les habits et le tissu que l’on viendra fouiller prioritairement à la sortie des galeries et des carrières. Si un homme est appréhendé par ses pairs en possession de pierres qu’il aura dissimulé, la sanction est lourde : le fautif risque de payer de sa vie. Et comme on le sait, ces endroits échappent souvent au contrôle des forces de l’ordre.
Et puis il y a ceux qui ont du mal à gérer leurs gains. Givan 28 ans et originaire d’Antsirabe dans le Vakinankaratra, témoigne de son vécu. “A une époque, j’ai trouvé des pierres d’une valeur de 30 millions d’Ariary. Mais malgré cette vente faramineuse, je n’ai pas pu su investir sur quelque chose de durable. Je me suis amusé, j’ai dépensé de l’argent et j’ai tout dilapidé de cette façon”. A ce jour, Givan est de retour dans les carrières d’Alaotre Mangoro, en quête de nouvelles pierres pour se refaire une fortune. Malheureusement, le jeune homme a fait équipe avec des malfrats qui se sont détournés de leur accord après avoir extrait les pierres de la galerie.