Quelques 2000 exploitants artisanaux creusent le sol de Mafaijijo, commune rurale de Maintirano, célèbre pour l’agate, une pierre semi-précieuse agate. Sur le marché international, 1kg d’une agate polie et bien présentée est évaluée à 1 350 000 Ariary. Dans les carrières de Mafaijijo, les hommes bravent le danger et frôlent la mort pour quelques pierres d’agate.
Sous le soleil d’Amboritry, petit village du district de Maintirano, Roland parle de son métier depuis maintenant une dizaine d’années : chercheur de pierres. Cet homme d’une soixantaine d’années, brut de décoffrage, sémillant et énergique, incarne à lui seul toute l’âme de son métier : « un travail dangereux qui n’est pas fait pour les craintifs ». Roland est à la tête de la petite communauté de la carrière minière d’Amboritry, l’une des cinq carrières de la commune rurale de Mafaijijo, dans le Melaky.
20 m sous terre, sans aucune protection
Roland est l’une des figures de proue du site. Il a embarqué toute sa grande famille dans cette activité. « Je suis ici, ma femme aussi, nos trois fils qui ont chacune une épouse, et mes petits-enfants, soit dix personnes qui vivent de la pierre sous mon toit. Mais d’autres familles d’exploitants comptent jusqu’à 18 personnes », explique-t-il. Depuis que les premiers filons ont été trouvés à Mafaijijo, des campements de milliers d’âmes se sont formés autour des carrières. A Amboritry, 721 familles vivent sous des cabanes de fortune. Elles viennent de diverses régions, plus ou moins lointaines, attirées par les promesses de la pierre d’agate. Des hommes, des femmes, des jeunes et surtout des enfants qui, dans ces carrières, ne sont généralement pas scolarisés. Saisons après saisons pourtant, leur situation se dégrade. Si une vingtaine d’années auparavant, cette pierre était relativement facile à extraire, aujourd’hui, il faut aller plus loin, sous la terre pour en trouver. « Nous utilisons des barres à mine, des pelles pour creuser le sol et déterrer les pierres. A l’aide de bidons, nous faisons remonter la terre vers la surface. Chaque trou creusé descend jusqu’à 20m sous terre » : des outils bien fragiles, sans aucune protection, pour une des activités les plus dangereuses qui soient.
Les accidents ne sont jamais loin : « Récemment, à Antsoamaliniky, qui est une des carrières de Mafaijijo, trois hommes ont été tués. Le premier est tombé dans un des trous. Puis, la terre s’est affaissée et les deux autres sont aussi tombés. Nous n’avons pas pu les sauver. Les médecins ne peuvent même pas venir jusqu’à nous », confie Zafianaka, qui s’est établi à Angeringedy.
Et puis, ce dur labeur ne nourrit malheureusement pas son homme. « Nous travaillons durement pour extraire les pierres qu’on nous achète à prix bradés. Je suis sûr qu’on nous vole, nous autres qui nous tuons à la tâche. Les collecteurs gagnent beaucoup on revendant les pierres auprès des Chinois ! », déplore Paoly qui est exploitant dans la carrière d’Angeringedy, également. Son collègue, Bien Christophe d’Antsohamaliniky est agacé par les tarifs : « Aujourd’hui, on vend trois kilos d’agate pour le prix de deux kilos, deux kilos au prix d’un kilo et bien évidemment, le kilo est racheté au prix des petites pierres ! Je soupçonne ces collecteurs de trafiquer les ressorts de leurs balances, et nous perdons de l’argent à cause de ces tricheries ! On nous achète le kilo d’agate à 200 Ariary dans la carrière d’Antsohamaliniky, alors que nous descendons jusqu’à 20m sous terre pour récupérer ces pierres! »
Tarifs sur le marché
A Maintirano, les collecteurs et opérateurs miniers se défendent de pratiquer de vils prix. De leur côté, ils jugent leurs tarifs raisonnables. « C’est à peine si les opérateurs intermédiaires entre les exploitants et les exportateurs prennent 1 000 à 3 000 Ariary par kilo », explique Ando. Ando est l’une de ces intermédiaires : la jeune femme s’occupe de sélectionner les pierres et les achètent aux exploitants dans les carrières. « Le prix de l’agate dépend de la taille et de la qualité de chaque pierre. Une pierre de mauvaise qualité est achetée à bas prix. Pour l’agate ordinaire, à la sortie des carrières, le collecteur l’achète entre 1000 et 1500 Ariary par kilo pour des pièces d’au moins trois kilos. Arrivé à Maintirano, on le rachète à 2400 voire 3 000 Ariary, selon la qualité de la pierre. Par exemple, une agate fleur blanche vaut entre 3000 à 4 000 Ariary à la carrière. Nous la reprenons à 4 500 Ariary. Pour l’agate fleur rouge, les collecteurs les prennent entre 15 000 à 1 8000 Ariary le kilo pour les pièces de plus de trois kilos. Arrivée ici, cette pierre sera reprise entre 1 9000 à 20 000 Ariary le kilo ».
Si Ando en connaît aussi long sur les tarifs du marché de l’agate, c’est parce qu’elle est l’une des représentants d’opérateurs basés à Maintirano. En effet, Ando agit au nom d’opérateurs chinois, en tant que collectrice de pierres, traductrice et intermédiaire auprès des exploitants artisanaux. Des Chinois qui, eux, restent aussi inaccessibles que silencieux : nous n’aurons pas l’occasion de les rencontrer.
D’inaccessibles opérateurs
Mais nous ne sommes pas les seuls à ne pas pouvoir approcher ces ressortissants chinois qui sont les principaux acquéreurs de pierres à Maintirano : c’est une possibilité qui est aussi refusée aux exploitants artisanaux dans les carrières. « Apparemment, ils ne descendent pas sur terrain pour nous rencontrer », explique Roland, d’Amboritry. «Ils emploient des Malgaches pour négocier à leur place. Ces Malgaches viennent nous voir avec l’argent et le commerce se fait directement entre nous ». Mais les chercheurs de pierres révèlent aussi l’entrave dont ils sont victimes : « Nous autres exploitants, n’avons pas le droit de communiquer directement avec ces étrangers qui achètent nos pierres. Les collecteurs nous en empêchent. Nous n’avons alors aucune idée des prix réels, on sait juste que par exemple, ces opérateurs chinois pourraient acheter nos belles pierres jusqu’à 20 000 voire 30 000 Ariary le kilo ».
Pour empêcher les exploitants de faire affaire directement avec les étrangers, les collecteurs, que les villageois appellent « les patrons » ne lésineraient pas sur les moyens. Bien Christophe s’indigne :
«S’ils nous attrapent en train de transporter directement nos pierres en ville, ils nous forcent à payer 2 00 000 à 300 000 Ariary au moins pour avoir le droit d’emmener nos produits jusqu’à Maintirano ». Impossible alors pour ces exploitants d’organiser un tel déplacement.
99 % d’exploitants illicites
Environ 2 000 exploitants, Malgaches et Chinois, sont présents à Maintirano. Mais ils sont, à 99%, en situation illicite car ne disposant pas de permis miniers. Pour le cas du fokontany d’Antsohamaliniky par exemple, quatre permis d’exploitation ont été accordés selon les informations recueillies auprès du Bureau du cadastre minier de Madagascar (BCMM) : deux ont été octroyés à d’importantes entreprises minières et deux, à des exploitants artisanaux. Ces quatre permis ont tous expiré entre 2009 et 2018. Sur ces quatre autorisations, une seule concernait l’exploitation de l’agate à Antsohamaliniky et ses environs, tandis que les trois autres concernaient étaient accordées pour l’extraction de la malachite, du jaspe et de la cornaline. Une situation qui n’est pas sans handicaper les collectivités terriroriales qui ne peuvent pas jouir de ces sources de revenus prévues par la loi. En effet, selon la loi nº 99-022 du 19 août 1999 portant Code Minier, 2% du prix de la première vente des produits sont destinés au paiement des redevances minières (0,6%) et à la ristourne (1,4%), la facture de vente faisant foi.
Tsiry Antenaina Ralidera, directeur régional de Mahajanga qui prend en charge les quatre régions englobées dans cette ancienne province, explique la répartition. “Auparavant, sur ces 2% du prix de vente, 60% revenaient à la Commune; 30% à la Région et 10% à la Province Autonome. Aujourd’hui, il y a une nouvelle répartition, toujours basée sur ces 2% de prix de vente : 60% sont accordés à la Commune et 39% à la Région”.
Tickets et cotisations
Que rapporte alors l’extraction artisanale et le commerce de l’agate à la collectivité, si la majorité des exploitants sont informels et illégaux? Pas grand chose, dès lors que ces acteurs restent informels. Et comme les budgets destinés par l’Etat central aux Communes et à la Région tardent, ces dernières ont mise en place un “système local de cotisation”. Au niveau de la Région, l’administration a choisi de ne pas encore contraindre les petits exploitants à se formaliser et préfère plutôt se tourner vers les collecteurs. Le chef de Région par intérim, Rasolofonirina Jean-Baptiste explique : “Nous avons laissé les petits exploitants récupérer les pierres pour l’instant. Mais au niveau des collecteurs doivent désormais se formaliser auprès du bureau des mines et du BCMM à Mahajanga car nous nous mobilisons désormais pour que ces opérateurs soient en règle, et détiennent un permis en bonne et due forme”. Néanmoins, la Région du Melaky récupère 100 Ariary par kilo vendu : “Ces frais d’exploitation minière sont fixés à 100 Ariary, en lien au fait que les tarifs sur le marché sont assez élevés. De notre point de vue, s’il y a autant de personnes qui se lancent dans cette exploitation, c’est qu’il y a de l’argent à gagner”, commente Ralaisabotsy Antonio, directeur du développement dans la Région Melaky.
Au niveau des communes, une autre organisation a été mise en place : les petits exploitants doivent payer un ticket de 1 000 Ariary par jour auprès de la commune. «Nous avons réuni tous les exploitants des carrières. On s’est concerté avec eux pour décider ensemble de leurs contributions au développement de la commune. Il a été décidé d’un commun accord que chaque exploitant doit payer 30.000 Ariary par mois, à raison de 1 000 Ariary par jour. On peut dire que c’est une modeste contribution, l’équivalent d’un ticket de marché. Qui plus est, ce montant a été validé par une délibération commune», explique Razafimamonjy Robert Eugène, adjoint au maire de Mafaijijo. “Quand la chance vous sourit et que vous mettez la main sur de belles pierres d’agate, vous pouvez toucher des millions d’Ariary. C’est bien la raison pour laquelle tant d’habitants de Maintirano se sont rués vers ces carrières”. Raymond Avisoa, secrétaire de l’Etat Civil de la commune de Mafaijijo fait le décompte des projets récemment réalisés grâce à ces contribiutions : “des clôtures, la route, l’éléctricité, et un barrage qui est en cours de construction pour arroser les plaines de Mafaijijo, sans parler de la sécurité que nous avons pu restaurer”. La commune de Mafaijijo se veut visionnaire : “le jour où le filon d’agate s’éteindra, nous aurons des infrastructures prêtes pour l’agriculture à laquelle les exploitants artisanaux pourront se convertir”, projette l’adjoint au maire, Razafimamonjy.
Grogne des petits exploitants
Chez les campagnons de carrières, ces mesures ne sont pas forcément vues d’un bon oeil. “Il y a les tarifs que vous entendez à Maintirano et les tarifs que nous voyons ici, dans les carrières. On nous achète les petites pierres de moins de trois kilos à 200 Ariary voire 500 Ariary le kilo. Après avoir passé des heures sous terre, à risquer nos vies, nous sommes encore taxés de 100 Ariary par kilo?” , s’exclame Rasoa, mère de famille qui s’est installée dans la carrière d’Antsohamaliniky. A Angeringedy, Zafianaka est amer : “On nous demande de payer 1 000 Ariary par jour en guise de cotisation. Mais vous savez, nous passons parfois des journées sans toucher la moindre pierre exploitable?”
Les difficultés de la Région et des Communes à collecter des redevances et ristournes de façon régulière ont mené au projet de mise en place d’un futur Bureau d’administration minière (BAM) et d’une direction régionale du ministère de tutelle à Maintirano. La formalisation de ces milliers d’exploitants n’est pas une mince affaire, mais la démarche est nécessaire pour assainir le secteur, où corruption, manipulations et insécurité règnent au quotidien. A l’ombre de sa case d’Amboritry, Roland médite sur leur avenir incertain. Pour ces exploitants sans permis, songer à se reconvertir est hors de question, malgré leur situation irrégulière. Quand bien même leurs conditions de vie et de travail sont extrêmement dures, tous sont déterminés à continuer à creuser la terre, dans l’espoir de tomber sur une pierre qui changera leur existence. Pour cette population, les carrières de Maintirano s’apparentent à un salut : « Cette carrière est une occasion pour nous d’améliorer nos conditions de vie. Je n’imagine même pas où nous en serions si cette carrière n’avait pas existé. On n’a plus de bétails, nos rizières sont asséchées. C’est ici, notre dernier espoir », résume Roland.