Dans un équilibre précaire entre générosité et malversations, la gratuité des soins pour les populations démunies expose les fonds d’équité médicale à des risques de corruption. Initié en 2004, le fonds d’équité permet aux plus démunis de bénéficier de prestations de soin. Mais peu d’usagers des services de santé connaissent l’existence de ce fonds d’équité, ce qui permet des pratiques de corruption passées sous silence.
Le fonds d’équité au service de la solidarité
« Le fonds d’équité est prélevé du fonds « Fandraisana Anjara No Mba Entiko » (Fanome), traduit en français par Financement pour l’approvisionnement Non-stop des Médicaments. Ce fonds permet d’assurer la prise en charge des médicaments pour les démunis », explique Solonirina Ranoroarisoa, dispensatrice au sein du Centre de Santé de Base niveau II (CSB II) de Sabotsy Namehana.
Si l’on remonte un peu dans l’histoire, la gratuité des soins et l’accès aux médicaments ont été instaurés en tant que droits fondamentaux après l’indépendance. Ce n’est que par le décret N°2003/1040 du 14 octobre 2003 suivi de l’arrêté interministériel N°5228/2004 en date du 11 mars 2004 portant application dudit décret que les modalités de conduite du Fanome auprès des formations sanitaires publiques ont été instituées.
Le Fanome est un mécanisme de financement communautaire appliqué au sein des centres de santé de base (CSBII). Une proportion évaluée à 3/135 des recettes du Fanome, récoltées par la vente de médicaments au niveau des CSB II, est transférée sur le fonds d’équité pour assurer cette prise en charge des démunis. Le fonds de solidarité repose ainsi sur un esprit d’entraide et de solidarité : les personnes qui ont les moyens financiers soutiennent les personnes les plus vulnérables. Mais ces personnes comprennent-elles le fonctionnement de ce mécanisme ?
Un avantage santé méconnu de ses bénéficiaires
Septembre 2023, nous sommes à Sabotsy Namehana, une commune suburbaine nichée dans le district d’Avaradrano. Cette localité située à une quinzaine kilomètres d’Antananarivo abrite près de 70 000 habitants répartis dans 17 fokontany, dont celui d’Atsinanantsena.
Pétroline Ralisoa est inscrite dans la liste des bénéficiaires du fonds d’équité d’Atsinanantsena. Interrogée, Ralisoa ne cache pas sa surprise : « Je ne suis pas au courant du fait que je figure dans une liste de bénéficiaires d’un avantage santé auprès du CSB II. C’est bien la première fois même que j’en entends parler ».
Pétroline Ralisoa n’est pas un cas isolé. Parmi les 10 personnes répertoriées parmi les bénéficiaires, une seule a pu profiter, en toute connaissance de cause, de ses droits sur le fonds en question. Il s’agit de Martine Razanajay, 72 ans, qui souffre d’une maladie artérielle et d’un trouble chronique de la vue. « Je suis bénéficiaire de soins gratuits et des médicaments gratuits auprès du CSB II et j’avoue que ça a été d’une grande aide pour une personne vulnérable comme moi », s’exprime-elle.
Un peu plus loin dans la commune de Bemasoandro Itaosy, Voahirana Rasolomampionona et Berthine Rasoarimalala vivent respectivement dans les quartiers d’Anosimasina et d’Ampasika. Elles assurent qu’elles ne se sont rendues dans les CSB II que très rarement, et n’ont pas connaissance de l’existence de ce mécanisme de solidarité pour les prestations de soins.
Une aide publique passée sous silence
En principe, c’est au fokontany d’établir la liste des bénéficiaires du fonds d’équité. Pourtant, c’est au niveau des fokontany mêmes que commencent la confusion et le manque de transparence. A Atsinanantsena dans la commune de Sabotsy Namehana, parmi les 6918 habitants du fokontany, 170 sont classés comme démunis et donc, bénéficiaires de l’aide issue du Fanome. L’existence du fonds d’équité n’est pas communiquée officiellement par le bureau du fokontany. Le chef de fokontany défend sa position : « Si l’on rendait publique l’existence des fonds d’équité, beaucoup vont se présenter pour être bénéficiaires alors que la prestation ne couvrirait pas grand-chose. Les gens reviendront sans cesse auprès des CSB II, rien que pour profiter de cette opportunité ».
Au CSB II, les gestionnaires du fonds d’équité martèlent un discours de maintien pour expliquer la faible vulgarisation de ce mécanisme auprès des usagers. Rakoto, nom d’emprunt pour sauvegarder son anonymat, est un membre du personnel de santé du CSB II de Sabotsy Namehana. Il explique : « Comment va-t-on gérer une foule de personnes qui se présentent au CSBII, prétendant être démunies alors que la somme autorisée par le fond d’équité ne couvrirait même pas le tiers des habitants dans notre fokontany ? »
Cependant, si la majorité des bénéficiaires légitimes n’est pas avisée de l’existence de ce fonds d’équité, certains sont pourtant bien informés. Avec des fonds jugés moindres et le maintien de l’ordre pour justifier le manque de communication, dans les faits, comment sont alors identifiées les personnes qui peuvent profiter de ce fonds d’équité ?
Figurer dans la liste de bénéficiaires n’est pas toujours évident…
Les critères d’identification des familles défavorisées diffèrent d’une localité à l’autre. Robertine Rakatroarilala, secrétaire administrative au sein de la commune de Bemasoandro explique le principe selon lequel les bénéficiaires ont été sélectionnés pour sa commune : « Les personnes âgées, ayant un faible revenu et un modeste niveau de vie, les veufs avec plus de quatre enfants à charge, les orphelins et les personnes en situation de handicap peuvent figurer dans la liste des démunis ». Pour identifier ces cibles, Rakatroarilala explique que la commune de Bemasoandro utilise des questionnaires adressés aux habitants dans les fokontany.
A Sabotsy Namehana, la méthode est différente au fokontany d’Atsinanantsena : le chef du fokontany établit la liste des bénéficiaires. Mais cette liste ainsi que les critères de sélection ne sont pas rendus publics, de telle sorte que les personnes susceptibles de jouir d’aides, à l’instar des prestations de santé gratuites, ne sont pas systématiquement informées. Le chef du fokontany d’Atsinanantsena se défend : “Si j’avais de mauvaises intentions, je ferais bénéficier mes proches des soins gratuits, en les inscrivant à la liste.”
Fokontany, communes, centres de santé : qui fait quoi ?
Trois entités sont concernées par le mécanisme du fonds d’équité. En premier lieu, les fokontany qui produisent la liste des personnes bénéficiaires. En second lieu, les communes qui valident la liste et les transmettent aux CSB. Enfin, les CSB II exécutent le service de soin et le don de médicaments.
Mais la collaboration n’est pas toujours fluide. Par exemple, le chef du fokontany d’Anosimasina, à Bemasoandro, accuse la commune de ne pas sensibiliser les administrés sur la question du fonds d’équité. Joël Claire Rasoaniaina, chef du fokontany Anosimasina explique : « Il n’y a aucune communication sur les fonds d’équité effectuée par la municipalité vers les fokontany. D’ailleurs, c’est le fokontany qui contribue à l’achat des médicaments pour les personnes vulnérables »
Au bureau de la commune de Bemasoandro, Robertine Rakatroarilala confie : « La commune ne peut pas vraiment déterminer la liste des personnes nécessiteuses, sans la collaboration des fokontany. Mais alors qu’ils doivent nous fournir ces listes, c’est nous, au sein de la commune, qui sommes obligés de les réclamer, pour organiser les différentes distributions d’aides pour les plus défavorisés.» Au niveau des centres de santé, un autre enjeu s’impose : Rakoto, au CSB II de Sabotsy Namehana éclaire : « Notre mission est de sauver des vies. Aussi, le fonds est utilisé, par exemple, pour couvrir les cas d’urgences, même si les personnes ne figurent pas dans la liste validée par la commune »
Incompréhensions, manque de communication et urgences médicales se grèvent alors sur la gestion des fonds d’équité. Comment alors s’assurer de la transparence et de l’éligibilité de l’affectation des dépenses sur ces fonds ?
Quid de la transparence dans la gestion du fonds d’équité ?
Théophile Rakotonanahary, secrétaire général et membre du comité de gestion du fonds Fanome au sein de la commune de Sabotsy Namehana explique que la commune a une obligation de rendre compte mensuellement auprès du ministère de la Santé publique sur les transactions faites sur le compte Fanome et sur les fonds d’équité. « En général, les dépenses prévues pour ce dernier sont les bons de soins pour les personnes nécessiteuses et les frais de tenue du compte bancaire. Au Ministère de tutelle de contre-vérifier la correspondance exacte des mouvements du compte », nous dit-il.
A ce jour, le ministère de la Santé Publique n’a pas donné suite à nos demandes d’interview et nos relances faites pendant deux mois, afin de recueillir la version des divers responsables sur la transparence de gestion de ce mécanisme de fonds d’équité. A bientôt 20 ans d’existence, le fonds d’équité demeure flou pour la majorité de ses bénéficiaires, autant que pour les personnes qui peuvent contribuer à alimenter cette caisse d’entraide.