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VaovaoCheck : une croisade à la reconquête de l’information 

Malina Admin . Administrateur
Publiée le 23/1/2024
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Après s’être penchés sur plus de 120 000 histoires rendues virales aux Etats-Unis par la twittosphère entre 2004 et 2017, les chercheurs du MIT Media Lab que sont Sinan Aral, Soroush Vosoughi et Deb Roy, trois pointures de la science numérique, concluent : « Le faux va plus vite et plus loin que le vrai ». Un constat d’autant plus véridique en période électorale et, bien que les utilisations malgache et américaine des réseaux sociaux ne soient pas comparables en termes de volumes et de portée, Madagascar n’échappe pas à la massification des fausses informations, des mésinformations et des désinformations. Mais ce phénomène a un coût économique et social : les recherches menées par l’université de Baltimore en 2019 avaient permis d’évaluer à plus de 78 milliards USD les pertes de l’économie mondiale suscitées par la prolifération de fausses informations. En pleine pandémie de Covid-19, les Nations Unies lancent une alerte sur le danger omniprésent des fake news, avec des conséquences nocives sur la compréhension des soins apportés aux patients. Le Secrétaire général de l’ONU, António Guterres, évoquait dans un discours officiel tenu en mars 2020 l’autre ennemi commun mondial : « l’infodémie de désinformation », contre laquelle il est urgent de « promouvoir de toute urgence les faits et la science, l’espoir et la solidarité au détriment du désespoir et de la division ». Rendu viral, puissant et persistant par les routes numériques et amplifiées par des interprétations personnalisées, le phénomène des fake news a aussi un coût politique important. En 2023, sont-ils aujourd’hui à même de nuire au processus électoral malgache – et partant à la démocratie elle-même, et que peut-on faire pour endiguer l’hémorragie ? 

 

L’absence d’une loi en faveur de l’accès à l’information à caractère public et d’une loi qui protège les défenseurs des droits humains et des lanceurs d’alerte rend Madagascar d’autant plus vulnérable face à la prolifération des fake news. Oui, les fausses nouvelles, les nouvelles manipulées, les informations volontairement erronées, et leurs diffusions massives via les réseaux sociaux, le bouche-à-oreille et même à travers les médias officiels peuvent nous coûter les élections : car elles vont plus vite, et plus loin. 

 

Algorithmes, bulles de filtres, choix 

 

A l’invasion des fake news s’ajoute l’impact des algorithmes des réseaux sociaux qui ne dissocient pas nécessairement le vrai du faux. Ces algorithmes fonctionnent plutôt pour intercepter l’attention des internautes, en sélectionnant, classant, hiérarchisant, les informations. Un fonctionnement qui n’est ni neutre, ni anodin, car il repose sur les impressions, les réactions, les partages et donc sur l’activité et la réactivité des internautes. Cette masse d’informations devient un biais cognitif qui focalise l’attention, en faisant en sorte que les internautes se tournent – ou sont orientés – vers les publications qui se rapprochent de leurs propres sensibilité et préférences, sélectionnées en puisant dans les données collectées sur eux, souvent à leur insu. Une information tamisée et personnalisée par plusieurs filtres qui, au bout de la chaîne, finit par isoler l’internaute, comme l’expliquait l’activiste américain Eli Pariser, co-fondateur d’Avaaz.org lorsqu’il décrivait et théorisait cette fameuse « bulle de filtres », il y a une dizaine d’années. Une théorie qui a fait parler d’elle, confortée ou contestée, mais qui n’est cependant pas sans rappeler l’importance de la portée d’une information manipulée voire fausse, sur une communauté d’internautes, et la potentielle fracture sociale et politique qu’elle peut engendrer. 

 

Un phénomène d’autant plus amplifié par les amis que nous choisissons ou que nous suivons sur les réseaux sociaux, comme l’explique le sociologue français Dominique Cardon [1]: « La bulle (des filtres NDLR), c’est nous qui la créons. Par un mécanisme typique de reproduction sociale. Le vrai filtre, c’est le choix de nos amis, plus que l’algorithme de Facebook ». Le choix de nos amis, et de « nos amis » des médias et de la presse. Ici, l’exemple malgache est bien à propos : quand la majorité des groupes de presse et des médias appartient à des têtes politiques, l’information présentée sur leurs plateaux et dans leurs colonnes ne subit-elle pas aussi des filtres et des tamisages propres à orienter l’opinion de leur public vers telle ou telle perspective exclusivement ? 

La question cruciale, face à cette massification de l’information et sa circulation tous azimuts, est… « Que faire ? » Comment démêler le vrai et faux au milieu de cette profusion d’informations et comment obtenir une information pour ce qu’elle est, simplement ? 

 

A quelques semaines du 9 novembre, jour du premier tour de l’élection présidentielle 2023, l’on voit déjà courir des informations délibérément faussées sur certaines pages des réseaux sociaux, dans le but de dénigrer tel ou tel candidat, au profit de tel ou tel autre candidat. Il n’est pas non plus rare de voir des extraits d’interviews montés en épingle, des photographies utilisées hors de leur contexte, dans une démarche de malinformation. Pour ne citer que ces exemples, et en vous épargnant les discours truffés d’erreurs, d’extravagances et de mensonges déclamés pendant la pré-campagne électorale. Les fausses informations sont partout : plus loin, plus vite. 

 

A gros mensonges, vérité fact-checkée 

 

Au-delà du propagandisme moutonnier et du fanatisme effrayant, ce genre de fake news a toujours pour effet dramatique d’occulter encore plus douloureusement le débat contradictoire déjà défaillant dans le paysage médiatique malgache. L’opinion est alors de moins en moins forgée par le questionnement et l’argument salutaires autour de constats vérifiés et véridiques, mais plutôt par la viralité des fake news, l’invasion malsaine d’un essaim de comptes fake qui polluent tout échange profitable à la réflexion, et les prises de position ponctuelles de certaines personnalités, autoproclamées « influenceurs » – quand « polémistes» serait plus adaptée – pour défendre ou discréditer non un programme, une cause, une idée, mais le mensonge d’un politique qui, éventé, a potentiellement le pouvoir de couler une candidature. Le tout forme ce qu’on appelle quotidiennement un « buzz », sans vraiment éclairer les opinions ou participer à faire comprendre un fait, encore moins à aider l’électeur vers un vote éclairé. 

 

Le concept de VaovaoCheck, conçu par des journalistes au nom de la liberté d’information et du droit d’informer et d’être informé, est l’une des initiatives malgaches qui veulent apporter une solution à la problématique des fausses informations et des informations manipulées. Une « brigade » d’une vingtaine de journalistes de plusieurs régions et de divers organes de presse se consacrent pendant cette période électorale à apporter des preuves de véridicité ou de fausseté aux rumeurs qui circulent dans le climat politique actuel. La solution n’est pas une nouveauté en soi pour le journalisme : le recoupement fait partie de la méthode de travail habituelle de tous les journalistes et le socle même d’une information collectée, prouvée et présentée de façon professionnelle. La vraie « solution », ce sont les professionnels de la presse qui reprennent leur pouvoir pour reconquérir l’information. Cette reconquête est capitale car pour renverser la vapeur des fake news et des trolls, il appartient aux professionnels de l’information de reprendre le contrôle de la matière première de leur métier. Et puisqu’on ne peut évoquer la démocratie – et par extension, les élections – sans évoquer l’accès à l’information, cette reconquête par les professionnels du métier est une initiative hygiénique et salutaire. Puisqu’on ne peut pas – toujours pas ! – compter sur cette loi sur l’accès à l’information à caractère public que d’autres s’acharnent à étouffer, c’est maintenant aux journalistes et aux citoyens de rétablir une justice de l’information. Le travail de VaovaoCheck consiste alors à apporter une expertise de fact-checking au service des lecteurs pour réduire les fake news au silence. Les fake news qui encrassent le débat public véhiculés par des comptes fake, par des citoyens lambdas, par des personnes morales ou même – et surtout – par ceux qui briguent Ambohitsorohitra. A gros mensonges, vérité fact-checkée.