Ils représentent la population, contrôlent le gouvernement, votent et proposent des lois. Mais
dans ce confort de l’hémicycle, le travail des parlementaires se retrouve, pour certains,
parsemé d’embûches et pour d’autres, motivé par des intérêts personnels. En 2025, le flou sur
les avantages et l’utilisation abusive de l’immunité parlementaire vient brouiller les rôles
primaires du parlement.
Sans amendement ni modification
Ils font la loi. Des lois organiques, lois de finances et lois ordinaires passent sous les yeux des
députés. Ils en discutent, selon l’ordre du jour proposé, lors des deux sessions ordinaires de 60
jours chacune, tenue chaque année. Déposés par le Premier ministre en fonction, ces textes
doivent faire l’objet d’un examen et d’une discussion, comme indiqué à l’article 87 de la
Constitution. Pourtant, la plupart du temps, les débats sont inexistants.
Jean-Jacques Rabenirina, député de l’opposition élu dans le district de Betioky Atsimo, ancien
vice-président de l’Assemblée Nationale pour la province de Toliara et président par intérim
après la destitution de Christine Razanamahasoa, s’indigne : “ Nous servons de boîte aux lettres :
en trois mandats, je n’ai jamais vu de modifications de la loi de finances même si nous ne
sommes pas tous d’accord. Il n’y a pas de débat, mais des ordres viennent de l’exécutif.” Gascar
Fenosoa, député indépendant élu dans le troisième arrondissement d’Antananarivo, renforce ces
propos : « Il est difficile d’avoir la parole quand on ne fait pas partie de la majorité, c’est-à-dire
du parti au pouvoir, et même si on arrive à parler, l’on ne nous écoute pas. » Celui-ci ajoute : «
C’est logique qu’il n’y ait eu aucune modification de la loi des finances, car quand celle-ci
arrive à l’Assemblée, le pouvoir exécutif envoie des consignes directes au parti majoritaire pour
voter la loi, et ceux qui n’en font pas partie ne peuvent faire grand-chose. » Pour cette structure
capable de remettre en cause les actions du pouvoir exécutif, les rapports de pouvoir menacent de
s’inverser. Interpellés sur ces affirmations avancées par les députés, ni le Président de
l’Assemblée nationale, ni le Deuxième Questeur chargé des relations publiques et de la
législation n’ont répondu à nos demandes d’audience et appels.
Un équilibre en manque
Unique entité à pouvoir décider de la déchéance du président de la République, l’Assemblée
nationale peut mettre en cause, par un vote, l’efficacité du gouvernement en place. L’article 103
de la Constitution indique que cette motion a un effet immédiat : « Si la motion est adoptée, le
Gouvernement remet sa démission au Président de la République. » L’article 131 revient sur la
valeur des voix de l’institution en disposant que le président de la République ne peut être mis en
accusation que par « l’Assemblée nationale au scrutin public et à la majorité des deux tiers de ses
membres. » Une mise en accusation issue d’une violation grave de la Constitution, aboutissant à
la déchéance de celui-ci. Et pourtant, le 13 juin, certains médias ont relayé le propos du président
de l’Assemblée nationale, Justin Tokely : « Nous vous assurons, Monsieur le président de la
République, que l’Assemblée nationale est votre pilier et qu’elle reste à vos côtés en toute
circonstance. » Une déclaration qui soulève des doutes face au second rôle du Parlement : le
contrôle de l’Etat. L’interpellation faisant partie des droits accordés aux membres de
l’opposition, l’article 102 de la Constitution énonce : « Trois jours de séance par mois sont
réservés à un ordre du jour arrêté par chaque Assemblée à l’initiative des groupes d’opposition
de l’Assemblée intéressée ainsi qu’à celle des groupes minoritaires. »
Pour le représentant de Betioky, ces trois jours étaient destinés à l’écoute des ministres de
l’Environnement, des Affaires étrangères, de l’Economie et des finances et de l’Intérieur afin de
discuter des finances publiques. Jean-Jacques Rabenirina regrette : « Nous (Ndrl : l’opposition)
avons déposé notre demande auprès du président, mais les membres du bureau permanent nous
ont répondu que cela n’était pas nécessaire de les convoquer ni de mettre cette rencontre dans
l’ordre du jour. De même pour la conférence des présidents. Cela signifie que le refus ne vient
pas des ministres, le blocage vient directement de l’Assemblée. » Plus tard, les ministres sont
convoqués lors d’une session ordinaire ne laissant, au regret des députés concernés, qu’un temps
de parole limité.
L’immunité parlementaire, le super bouclier des dissidents de Tsimbazaza
L’article 73 de la Constitution malgache dispose qu’aucun député ne peut être poursuivi durant
les sessions et dans l’exercice de sa fonction, que ce soit en matière correctionnelle ou criminelle
qu’avec l’autorisation de l’Assemblée ou de son bureau. Sauf en cas de flagrant délit, de
poursuites autorisées ou de condamnation définitive. L’alinéa 3 du même article dispose qu’hors
session aucun député ne peut être arrêté qu’avec l’autorisation du bureau permanent de
l’Assemblée nationale. Un texte qui rend caduc la poursuite des parlementaires mis en tort et qui
constitue un blocage de taille dans la procédure de mise en accusation devant la Justice.
L’immunité parlementaire est un droit accordé aux parlementaires durant leurs mandats. Mais
certains élus de la chambre basse abusent de cette disposition pour se soustraire à la justice afin
d’échapper à leurs poursuites et condamnations. L’immunité parlementaire constitue donc un
bouclier pour abriter les députés criminels et les trafiquants, pour qui se faire réélire permet de ne
pas répondre de leurs actes. C’est ce que confirme Jean Jacque Rabenirina, Député élu dans la
localité de Betioky qui brigue son troisième mandat : “l’immunité est un pouvoir accordé aux
élus par la loi. Effectivement, certains députés en abusent et cela depuis toujours. Au cours de
mes trois mandats, deux demandes de mainlevées ont été réceptionnées par l’Assemblée
nationale, mais aucune levée de l’immunité parlementaire n’a été approuvée et délivrée par la
chambre basse. À ma connaissance, aucune levée de l’immunité n’a été approuvée par les élus
de la chambre basse depuis les 60 années d’existence du Parlement !” (Voir encadré pour la
procédure de levée de l’immunité parlementaire). Selon lui, cette situation s’expliquerait par le
fait que la loi condamnant les élus est bien moins sévère que la loi les protégeant et qu’il n’existe
aucune loi interdisant à ceux ayant des démêlés avec la justice de se présenter ou de briguer un
autre mandat. Un article de la Radio France International datant du 5 juin 2019, illustre cette
situation. En effet, lors des législatives de 2019, quatre candidats en lice étaient placés sous
mandat de dépôt car impliqués dans des affaires douteuses. L’un était impliqué dans une affaire
de corruption liée à la vente de la résidence de la famille de l’ancien président Albert Zafy. Les
trois autres candidats, candidats indépendants, ont fait face à des accusations pour meurtre et
détention illégale d’armes pour les deux premiers, le troisième pour kidnapping.
Interrogé, Gascar Fenosoa, nouvellement élu, a avoué n’avoir jamais vu ni entendu parler d’une
demande de levée de l’immunité parlementaire ni d’une approbation de celle-ci, depuis son
élection. Par ailleurs, il affirme ne pas être au courant d’un blocage des poursuites judiciaires
concernant la demande de levée de son immunité parlementaire à l’Assemblée nationale et, pour
sa part, n’y voit aucun inconvénient.
Notre source auprès de la Haute Cour de Justice (HCJ), la juridiction compétente pour juger les
infractions des parlementaires dans l’exercice de leurs fonctions, évoque un blocage au niveau de
la majorité du vote qui est requise pour l’instruction des dossiers au niveau de la HCJ : “
Concernant la HCJ, c’est le vote par la majorité qui pose surtout un problème, et non pas
tellement l’immunité parlementaire”, nous confie-t-il.
Corporatisme
Par ailleurs, l’existence d’un puissant corporatisme au sein de la chambre basse constituerait
aussi l’une des principales difficultés pour enclencher les poursuites contre un député. Selon Jean
Jacques Rabenirina, “c’est une réaction très humaine que d’éviter de faire condamner son
confrère car cela risquerait de vous arriver aussi”. Il a notamment évoqué le fameux dicton “
Raha maty aho, matesa rahavana. Raha maty rahavana, matesa ny omby.” “Jusqu’à maintenant,
le cadrage de l’immunité parlementaire n’est pas du tout inscrit à l’ordre du jour et même si
l’Exécutif venait à proposer une loi limitant le pouvoir de celle-ci, je doute fort que cela passera
au sein de l’Assemblée nationale. Cette question d’immunité parlementaire devrait aussi revêtir
une dimension éthique et morale comme c’est le cas à l’étranger. Ceux qui sont cités dans des
affaires pas nettes devraient se retirer de leurs fonctions le temps de l’enquête.” Il a aussi
souligné l’utilisation des laissez-passer et des cocardes comme outil de trafic afin d’échapper au
contrôle policier.
Gascar Fenosoa, pour sa part, réfute l’existence d’un corporatisme au sein de la chambre basse et
fait référence au cas du député de Soavinandriana condamné pour trafic de tortues. Il réitère que
l’adoption d’une loi sur le cadrage de l’immunité parlementaire n’est pas encore inscrite à l’ordre
du jour et attend les actions de la Haute Cour de Justice (HCJ).
Le BIANCO, en tant qu’officier de police judiciaire (OPJ), s’occupe de mener l’enquête
préliminaire et d’auditionner les députés prévenus afin d’avoir leurs versions des faits. Une fois
toutes les preuves accablantes réunies, il défère l’affaire au Pôle Anti-Corruption (PAC), le
tribunal compétent pour juger les cas de corruption et les infractions y assimilées.
Zéro condamnation, zéro arrestation
Entre 2023 et 2025, le BIANCO a reçu 46 plaintes visant des députés. Parmi elles, 36 ont été
jugées recevables. À ce jour, 29 dossiers sont en cours d’instruction, dont 15 concernent des
parlementaires actuellement en exercice et 14 des anciens élus. Autrement dit, près de la moitié
des affaires encore ouvertes touchent directement des députés siégeant aujourd’hui à
l’Assemblée nationale.
En parallèle, trois dossiers ont été transférés au PAC. Ces derniers n’ayant révélé aucune
infraction à la loi, ils ont été confiés au Comité consultatif de l’investigation, qui devra statuer
sur leur classement définitif.
Notre source auprès du BIANCO avoue que la principale difficulté pour le traitement des 29
dossiers en cours est le puissant corporatisme au sein du Parlement : “Ils se protègent entre eux
et certains arrivent même à faire pression sur le bureau permanent. D’un autre côté, le BIANCO
est largement en sous-effectif ce qui impacte grandement sur notre capacité de traitement.”
Majoritairement, ces dossiers concernent le détournement du crédit d’investissement destiné à
l’appui au développement (CIAD), le trafic d’influence et tous les autres trafics confondus.
Hauts responsables : les enquêtes au point mort
Comme l’immunité parlementaire n’interfère nullement dans le cadre de l’enquête préliminaire,
un grand nombre de nos investigations (ndlr : les investigations de la BIANCO) aboutissent au
déferrement. C’est au niveau du tribunal que les dossiers rencontrent un blocage dû en partie à la
demande de levée de l’immunité parlementaire. En conséquence, aucune poursuite, ni arrestation
n’est enclenchée et aucun jugement n’est prononcé (rapport d’activité de 2024). A l’instar de
l’affaire de transport illégal de palissandre impliquant l’actuelle députée d’Antananarivo II Lanto
Rakotomanga. Ou encore, de la vaste affaire de corruption divulguée par Raïssa Razaivola et
impliquant l’ancien ministre de la Justice et actuel député de Sainte-Marie, Imbiky Herilaza.
C’est aussi le cas du député impliqué dans l’affaire de l’exportation illégale de 49 kg d’or
intercepté à l’île Maurice.
Dans son rapport d’activité annuel de 2023, le PAC révèle que 14,1 % des prévenus sont issus de
l’Exécutif et du corps législatif — la proportion la plus élevée parmi toutes les catégories
professionnelles.
Dans la juridiction du PAC premier degré, la proportion atteint 21,2 %, plaçant Mahajanga au
sommet du classement national. Pour cette localité, 36 demandes d’autorisation de levée de
l’immunité parlementaire ont été effectuées, mais aucune n’a été délivrée par le Parlement. Et
pour clôturer le tout, aucune autorisation de demande de mainlevée n’a été accordée pour l’année
2023.
Pour ce qui est de la Haute Cour de Justice, notre source confirme que jusqu’à présent, aucun
jugement n’a encore été émis par cette juridiction des 17 dossiers (confondus, ceux-ci concernent
aussi bien d’anciens ministres que des députés et de tout autre haut fonctionnaire de l’Etat)
traduits depuis 2018, année de sa création. Tous les dossiers restent bloqués au niveau du
Parlement.
Des recommandations pour cadrer l’étendue de l’immunité parlementaire ont été émises par les
entités en charge de la lutte contre la corruption comme le BIANCO ey la Comité de Sauvegarde
de l’Intégrité (CSI). En 2020, le Député Djohary Lee Andrianambinina, élu à Vondrozo, a
proposé un code d’éthique visant à baliser l’immunité parlementaire. Mais sa proposition n’a
jamais été portée à l’ordre du jour. Jusqu’à présent, l’immunité parlementaire est surtout le
refuge des dissidents de Tsimbazaza et constitue le laissez-passer pour la culture de l’impunité,
de la corruption et de l’inégalité des justiciables. Sans une réelle volonté de la part des élus, le
système des deux poids, deux mesures continuera de dicter la norme. Jusqu’à la rédaction de
notre article, nous n’avons pas encore eu de retour de la part du Bureau permanent de
l’Assemblée nationale.
Salaire et privilèges des députés malgaches : entre réalité budgétaire et cadre légal
Comme tout fonctionnaire de l’État, les députés malgaches bénéficient de plusieurs avantages
leur permettant d’exercer leur mandat, notamment des privilèges financiers et matériels. Ces
bénéfices sont encadrés par des textes légaux, bien que certains documents réglementaires ne
soient pas accessibles au grand public. Il est important de rappeler que la rémunération et les
indemnités qu’ils perçoivent proviennent des impôts et des ressources publiques collectées
auprès des citoyens malgaches, une réalité qui suscite de plus en plus de critiques dans l’opinion.
Un salaire basé sur un système d’indice
Un article de Midi Madagasikara intitulé « Salaire et indemnité des Députés : de 2,4 millions
d’Ariary à 3 millions d’Ariary par mois », paru sur le site web le 25 mars 2016 cite le décret
n°2014-259 du 2 mai 2014 comme le document réglementaire qui fixe les salaires accessoires,
indemnités et avantages en nature des parlementaires. Bien que ce décret soit régulièrement
mentionné dans les médias, il reste introuvable dans les bases de données juridiques publiques, y
compris sur CNLEGIS et dans les journaux officiels.
La même loi précise que les indemnités complémentaires sont fixées par voie réglementaire,
mais ne les détaille pas elle-même (article 2). C’est notamment le décret n°2008-668 qui
détermine les indemnités des fonctionnaires selon leur situation ou leur mission. Bien qu’il ne
soit pas spécifique aux parlementaires, il sert de référence dans l’absence d’un texte distinct
accessible.
Les indemnités complémentaires selon les sources publiques
La presse nationale, notamment Midi Madagasikara, cite le décret n°2014-259 du 2 mai 2014
comme le document réglementaire qui fixe les salaires accessoires, indemnités et avantages en
nature des parlementaires. Bien que ce décret reste introuvable dans les bases de données
publiques, plusieurs informations en sont extraites par les médias et les députés eux-mêmes :
● Selon le décret n°2014-259, cité dans l’article de Midi Madagascar, les députés
perçoivent une indemnité de session de 40 000 Ariary par jour et une indemnité de
mission de 65 000 Ariary par jour. Bien que ce texte ne soit pas accessible en ligne, son
contenu demeure une référence officielle citée dans le cadre des avantages alloués aux
élus ;
● Sur les crédits téléphoniques, Gascar Fenosoa déclare : ” Chaque mois, nous bénéficions
d’un crédit de communication d’un montant de 200 000 Ariary, attribué sous forme de
cartes prépayées. Ce crédit n’est pas versé en espèces” ;
● Concernant l’allocation carburant, il affirme aussi : “Concrètement, l’allocation
carburant s’élève à environ 3.000.000 Ariary par mois” ;
● Jean Jacques Rabenirina, un autre député, précise que : “Le gouvernement agit comme
garant auprès des concessionnaires afin que nous puissions acquérir un véhicule de type
4×4. Le coût du véhicule est ensuite amorti progressivement par prélèvement mensuel sur
notre salaire, jusqu’à échéance du paiement.”
Conformément au règlement intérieur de l’Assemblée nationale, chaque député a le droit de
recruter jusqu’à cinq assistants parlementaires. La sélection est libre, en fonction des besoins du
député et des compétences des candidats. La rémunération ainsi que les indemnités liées à leur
activité sont prises en charge par le budget de l’Assemblée nationale.
Un tunnel sans fin
Entre l’espoir d’être représentés, écoutés, et défendus, les Malgaches ne font pas le poids auprès
des avantages des députés. Ceux-ci, élus dans le mauvais groupe et incapables de s’exprimer ou
nageant complètement dans les avantages et le confort se cachent derrière une solidarité
mesquine. Entre-temps, l’Assemblée nationale devient une façade pour cacher la démocratie
d’aujourd’hui : un terrain où la majorité défend la minorité plus que ceux qui les ont élus. Pour
un pays dont le taux de pauvreté dépasse 80%, la structure censée apporter une lueur, un brin de
lumière, devient le repère de quelques porteurs de jupes et de cravates criminels et assoiffés
d’argent.

(Par Voniala Rabesiaka, Mirindra Randrianarisoa, Rova Andriantsileferintsoa)
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